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L’oubliée de la campagne électorale
lautjournal.info
- 9 Mars 2007
Par Charles Castonguay
La sauvegarde et le développement de la langue française est à la
base de la question nationale québécoise et du combat du mouvement indépendantiste.
Pourtant, il n’en a pas été question jusqu’ici dans la campagne électorale.
Motus et bouche cousue, autant chez André Boisclair que chez Mario
Dumont et Jean Charest. Pourtant, comme nous le rappelle Charles
Castonguay dans ce texte publié dans le dernier numéro de l’aut’journal,
la situation du français n’a jamais été aussi précaire.
Pour marquer le 40e anniversaire du rapport de la Commission
Laurendeau-Dunton, Radio-Canada a fait grand battage pendant une semaine
autour d’un sondage CROP sur le bilinguisme. Procédé qui en dit long
sur la qualité de l’information diffusée par Radio-Canada.
La méthodologie douteuse de CROP
CROP a écarté de son échantillon tous les Canadiens qui ne parlent
pas l’anglais ou le français comme langue d’usage à la maison. Il
s’agit de 3 millions de personnes, soit 10 % de la population. Le site
de Radio-Canada présente néanmoins les résultats comme représentatifs
de l’ensemble des Canadiens. La Commission Laurendeau-Dunton avait été
plus respectueuse des allophones et des Autochtones.
Le sondage est tout aussi faussé en ce qui concerne les minorités
francophones. La majorité des francophones hors Québec dans l’échantillon
CROP habitaient des comtés du Nouveau-Brunswick et de l’Ontario
avoisinant le Québec alors que, en réalité, la plupart vivent dans un
environnement où ils sont beaucoup plus minoritaires et moins bien
lotis.
L’échantillon n’est donc pas représentatif non plus des minorités
francophones. À tel point que, selon les résultats obtenus par CROP
pour Radio-Canada, les anglophones du Québec sont plus à plaindre que
les francophones hors Québec quant à la disponibilité de services fédéraux
dans leur langue. Ce qui a ensuite permis à Anthony Housefather, ex-président
d’Alliance Québec invité à Dimanche Magazine, de jouer
longuement au martyr sur les ondes de notre radio d’État.
400 000 francophones anglicisés deviennent des anglophones bilingues
Le comble c’est que CROP a classé les francophones et les anglophones
en fonction de la langue d’usage à la maison au lieu de la langue
maternelle. En 2001, il y avait près de 400 000 personnes de langue
maternelle française à l’extérieur du Québec qui parlaient
l’anglais comme langue d’usage à la maison.
L’approche toute croche de CROP compte tous ces francophones anglicisés
comme autant d’anglophones bilingues. Ce qui a pour effet de
transformer l’assimilation croissante des minorités francophones en
une poussée de bilinguisme parmi la majorité linguistique dans le Rest
of Canada. Bonne nouvelle, que Radio-Canada répand sans broncher
coast-to-coast-to-coast. Ignoble de se gargariser ainsi de bilinguisme
sur le dos des francophones en voie d’assimilation.
L’anglicisation du Canada
On sait que Trudeau a enterré l’approche initiale de la Commission
Laurendeau-Dunton à la crise que traversait - et que traverse encore -
le Canada. Tant et si bien que depuis l’adoption en 1969 de sa Loi sur
les langues officielles, l’anglicisation des francophones hors Québec
n’a pas dérougi.
L’anglicisation du Canada tout court se constate non seulement en ce
qui touche au poids de sa population qui parle le français comme langue
première mais jusque dans les données de recensement sur la
connaissance du français et de l’anglais. Ce que dissimule
l’habituelle analyse euphorisante des organismes gouvernementaux
canadiens.
De Keith Spicer à Graham Fraser, les commissaires aux langues
officielles du Canada nous rappellent que le bilinguisme institutionnel
du gouvernement canadien vise à mettre fin à la discrimination
linguistique en assurant aux parlants français comme aux parlants
anglais des services fédéraux de qualité égale dans leur langue.
Ce qui équivaut à protéger l’unilinguisme, qu’il s’agisse d’unilinguisme
français ou anglais. Or, loin de se résorber, le déséquilibre
canadien en matière d’unilinguisme s’accentue à chaque
recensement.
Pour la première fois depuis 400 ans, une baisse absolue du nombre
d’unilingues français
De 1971 à 2001, les unilingues français sont passés de 18 à 13 % de
la population canadienne. Et la tendance s’emballe au point que le
nombre d’unilingues français baisse maintenant en chiffres absolus,
passant de 4,1 à 3,9 millions entre 1991 et 2001. Cela marque le
renversement d’une tendance près de quatre fois séculaire, puisque
le nombre d’unilingues français au Canada était sans doute en hausse
depuis 1608.
Au contraire, l’unilinguisme anglais s’est maintenu parfaitement à
67 % de la population. En chiffres absolus, il a progressé de 14
millions en 1971 à 20 millions en 2001. Alors que le nombre
d’unilingues français évolue désormais à la baisse, le Canada
compte un million d’unilingues anglais de plus à tous les cinq ans!
Progression du bilinguisme au détriment de l’unilinguisme français
Par conséquent, la progression du bilinguisme n’a fait que compenser
la chute de l’unilinguisme français. De sorte que le pourcentage de
la population canadienne qui se considère capable de parler français
n’a pas du tout augmenté, demeurant à 31 % en 2001 comme en 1971.
En même temps, le maintien de l’unilinguisme anglais et la montée du
bilinguisme ont fait passer la connaissance de l’anglais au Canada de
80 à 85 % de la population. En matière d’unilinguisme et de
bilinguisme, tout comme en celle de langue maternelle ou de langue
d’usage, l’inégalité entre l’anglais et le français s’est
creusée depuis la Commission Laurendeau-Dunton.
Mais présenter les choses de cette façon donnerait trop à réfléchir.
Le mandat de tout organisme fédéral est de renforcer l’unité
canadienne. Alors, pour fêter l’anniversaire de Laurendeau-Dunton,
Radio-Canada nous commande un CROP grand cru qu’il nous sert avec une
publicité à la sauce franglaise, du genre LE BILINGUISME / C’EST PAS
/ «BEAUTIFUL» / ÇA?
À propos, cette année est aussi le 30e anniversaire de la Charte de la
langue française. Ou plutôt de ce qu’il en reste. La loi 101 était
censée elle aussi protéger les parlants français contre la
discrimination, notamment dans le monde du travail. Attendons voir si Québec
va fêter ça et, le cas échéant, comment.
La Voix du Peuple - Mis
à jour : le 9 Mars 2007.
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