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Les Québécois plus «solidaires» que «lucides»
Source : le
devoir - 11 janvier 2007
Non seulement les Québécois n'ont pas
adhéré aux thèses avancées par le groupe des «lucides» au sujet
du péril que représentent la dette et le choc démographique, mais
la génération qui est aujourd'hui dans la vingtaine s'avère encore
plus attachée que ses aînés au modèle social-démocrate qui
prévaut ici. C'est ce qui ressort d'un sondage CROP dont les
résultats ont été dévoilés hier. Le président de cette maison de
sondage, Alain Giguère, a du même coup invité les lucides à
redoubler d'efforts pour vendre leurs idées à la population.
Règle générale, les citoyens refusent qu'on sabre les services
sociaux, jugeant plutôt «que le Québec se doit d'être le plus
généreux possible dans ses programmes sociaux». En fait, seulement
36 % de la population est convaincue que le fameux modèle québécois
est «trop généreux». Une majorité (57 %) est plutôt d'avis
contraire, estimant que l'État a aussi un rôle prépondérant à
jouer pour faciliter «l'accès aux services», pour «la répartition
de la richesse et pour l'encadrement de l'économie», selon les
conclusions de ce sondage.
En ce qui a trait aux solutions avancées par les «lucides» pour
«permettre au Québec d'avoir les moyens financiers nécessaires pour
se développer davantage», «payer ses dettes» et «laisser aux
jeunes une société plus prospère», les Québécois diffèrent
aussi d'avis. Ainsi, 83 % de la population est opposée à une hausse
des tarifs d'électricité. Et à peine un citoyen sur trois serait
favorable à une augmentation des frais de scolarité des étudiants
universitaires.
L'imposition de frais lors d'une visite chez le médecin (le ticket
modérateur) ne recueille pas non plus une majorité de voix puisque
53 % des Québécois y sont opposés. Ils sont cependant ouverts à
l'idée de l'existence des cliniques privées dans une proportion de
66 %. Ils sont également d'accord pour «permettre l'existence
d'assurances privées de santé afin de donner la possibilité aux
citoyens qui le désirent de se payer des soins de santé en dehors du
système public de santé». En fait, ce sont ces deux options
«lucides» qui recueillent le plus l'assentiment des citoyens pour
faire face aux défis du remboursement de la dette et du choc
démographique.
Plusieurs sondages ont servi de base à l'étude de CROP, dont les
échantillons comptaient plus de 1000 personnes et avaient une marge
d'erreur de 3 %. Présentée hier devant le Cercle canadien de
Montréal, cette étude tend en outre à démontrer que le Québec est
la province canadienne où la plus forte proportion de la population
(49 %) considère que la société se porterait mieux si les
gouvernements jouaient un rôle plus important. Sans le Québec, la
moyenne au pays se situe à 28 %.
Sans surprise, «plus le niveau socioéconomique des Québécois est
élevé, plus ils ont tendance à considérer que nous sommes trop
généreux et que certains services devraient être revus ou tarifés
à la hausse, conclut aussi l'étude. Les revenus élevés ayant une
incidence limitée au Québec, la majorité aura donc tendance à
appuyer la générosité sociale». «Donc, sur le plan politique, ils
ne voteront pas pour des gens qui vont se présenter et dire "on
va mettre le pays sur ses rails"», a dit Alain Giguère.
«On veut voir le gouvernement très impliqué dans l'économie, dans
la réglementation, dans le partage de la richesse. Les services
rendus à la population, on aime ça, ils ont remplacé l'Église
[...]», a d'ailleurs lancé M. Giguère hier, provoquant des rires
dans l'assistance. Et, selon lui, «le travail des "lucides"
n'est certainement pas terminé. Il y a encore beaucoup de millage à
faire avant que cette conscientisation passe auprès du public». «Il
y a quelqu'un qui va devoir expliquer ça aux Québécois parce qu'ils
ne le savent pas», a-t-il ajouté.
Jeunes solidaires
Heureux constat pour le camp des solidaires, les jeunes Québécois de
15-24 ans, qui ont grandi avec la mondialisation économique en toile
de fond, sont encore plus sociaux-démocrates que leurs aînés.
«Contrairement à nos hypothèses de départ, les jeunes
générations ne semblent pas particulièrement enclines à vouloir
réduire les services de l'État pour réduire la dette qui leur
reviendra», conclut d'ailleurs l'étude.
Et le phénomène étonne M. Giguère, qui croyait plutôt qu'il
constaterait le contraire. «Ce qui surprend, c'est que sur plusieurs
questions, ils [les jeunes] sont encore plus attachés à notre
social-démocratie, à notre modèle de répartition de la richesse,
que la population en général, a-t-il expliqué hier. Donc, demain
matin, quand on va dire qu'il faudrait réduire les services ou encore
augmenter les frais de scolarité à l'université parce que les
universités n'ont plus les moyens, ce discours-là, il ne passera
pas.»
En matière de dette, que les «lucides» perçoivent comme une
véritable épée de Damoclès, les jeunes ne voient tout simplement
pas le péril, selon le président de CROP. «Les jeunes ont tendance
à minimiser le problème, croit M. Giguère. Quand on essaie de leur
dire: "c'est vous qui allez payer la facture", on a beau
essayer de leur expliquer ça, ils ne considèrent pas que le
problème est si grave que ça.» On se dirige donc vers un «schisme
de générations. Les jeunes ne voudront pas payer les factures des
baby-boomers. Eh bien, quelqu'un va devoir leur expliquer ça, parce
qu'ils n'ont pas compris».
De plus, «ceux qui nous disent qu'il faut améliorer les programmes
sociaux, ce sont les jeunes. Donc, on a beau tout faire, il y a une
limite à ce qu'on peut biaiser notre questionnaire pour dire
"réveillez-vous"», a soutenu M. Giguère, ajoutant que les
15-24 ans sont plus portés à vouloir «augmenter les impôts».
Dans ce contexte, comment convaincre les jeunes de faire preuve de
«lucidité»? «C'est la question que je pose, a lancé Alain Giguère après sa conférence. On vit en démocratie, donc il faut
vendre ces réformes à la population, mais il n'y a pas d'acheteur.»
Selon lui, «il y a certainement un blocage» chez les Québécois, à
l'exception d'une «seule petite ouverture» en santé.
«Fondamentalement, dans nos valeurs, notre social-démocratie est
quelque chose d'extrêmement important. Ce qu'on appelle le modèle
québécois, notre partage de la richesse, c'est très enraciné.
Changer ça, ça va prendre beaucoup d'efforts politiques»,
juge-t-il.
«Il y a aussi le problème de la crédibilité. Malheureusement, les
politiciens n'ont pas la crédibilité qu'ils pourraient avoir. Jean
Charest a bien essayé de convaincre les Québécois qu'il fallait
réduire notre train de vie, mais il paye cher les réformes qu'il a
essayé de faire», estime le président de CROP. Pourtant, «la cause
nécessite un sang nouveau».
André Pratte, cosignataire du manifeste Pour un Québec lucide et
éditorialiste au journal La Presse, s'est pour sa part dit
«déprimé» par les résultats de cette étude. «Au Québec, les
francophones ont été libérés par l'État au cours de la
Révolution tranquille et il n'y a rien de plus ardu que de se
libérer de notre libérateur», croit-il. Ainsi, «s'en détacher,
réduire son rôle, ça nous inquiète beaucoup». «On demande aux
gens de faire des choix difficiles. Et ma grande crainte, c'est qu'un
jour les choix qu'on a à faire nous soient imposés par d'autres,
comme les marchés financiers ou les marchés étrangers», a-t-il
prévenu.
Porte-parole de Québec solidaire, Françoise David s'est quant à
elle dite heureuse des résultats du sondage, ajoutant que ceux-ci
reflètent plutôt la lucidité des citoyens. «La population comprend
très bien que l'augmentation des tarifs d'électricité ainsi que des
frais de scolarité, en plus de la réduction des services, ça ne
règle rien. Ça fait seulement en sorte qu'on se retrouve dans une
société de plus en plus injuste», a-t-elle fait valoir.
La solidarité dont font preuve les jeunes ne l'étonne pas. Selon
elle, ils considèrent que «la première étape vers une véritable
équité intergénérationnelle est de léguer aux générations
futures une planète habitable». Mme David juge également que les
«lucides» accordent une «importance démesurée» à la question du
choc démographique pour justifier leurs idées, sans tenir compte du
«rôle de l'État» dans la répartition de la richesse et, en
définitive, de la «justice sociale».
La Voix du Peuple - Mis
à jour : le 11 janvier 2007.
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