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Faudrait-il conséquemment,
 et comme le sous-entend maintenant l'aut'journal,
 remettre en cause la présence
 de chartes des droits et libertés ?

 

Par André Parizeau
Chef du PCQ

Vivons-nous vraiment sous la dictature des juges ? Faudrait-il conséquemment, et comme le sous-entend maintenant  l'aut'journal, remettre en cause la présence de chartes des droits et libertés ? À lire un récent texte de Pierre Dubuc, publié sur le site Internet de l'aut'journal, et portant sur l'impact de la Charte canadienne des droits et liberté, ainsi que sur l'usage de celle-ci par les juges, on pourrait être tenté de dire OUI à cette question (1).  Sauf qu'en agissant ainsi, je crois également qu'on se tromperait de cible.

Dans ce texte, qui prend comme point de départ un livre écrit par Michael Mandel il y déjà un certain temps -- soit en 1996 --, mais qui apparaît également comme étant peut-être aussi une manière déguisée pour essayer de justifier, par la porte d'en arrière, l'actuel projet du PQ sur l'identité québécoise, Pierre Dubuc se permet de faire certains commentaires qui pourraient faire sursauter.  Selon lui, non seulement l'existence même de cette charte (et par ricochet, on pourrait extensionner ce commentaire jusqu'à inclure aussi la charte québécoise des droits et libertés) serait essentiellement négative, mais la judiciarisation à "outrance" que la présence de telles chartes aurait créé, au fil des années, représenterait en fait une confirmation de notre statut de "nation vaincue".

Pierre Dubuc, faut-il le rappeler, est un des principaux leaders du club politique SPQ Libre, oeuvrant au sein du PQ.  Peut-être essaie-t-il, en agissant ainsi et en prenant de telles positions, de se rapprocher des bonnes grâces de Pauline Marois et de ses principaux conseillers, dans un contexte où, dès cet été, les pressions se faisaient déjà insistantes, au sein de l'entourage de la nouvelle chef, pour essayer de remettre en cause la présence du SPQ Libre à l'intérieur du PQ.
 

Des questions qui en soulèvent d'autres en même temps

Quoiqu'il en soit, Pierre Dubuc va si loin, dans ses affirmations, qu'on ne peut faire autrement que de se questionner sur le type de projet de société que celui-ci envisagerait du même coup, pour le Québec, au lendemain de l'accession de celui-ci à sa pleine souveraineté.  Une question me vient tout de suite à l'esprit, à lire son texte : s'opposerait-il encore à ce qu'il y ait une Charte des droits et des libertés, dans le cadre d'un Québec indépendant ?  Pierre Dubuc ne va pas jusqu'à se prononcer explicitement à ce sujet, mais celui-ci ouvre d'une même coup une véritable canne de vers, par ses propos.

De toute évidence, la Charte canadienne n'aurait plus sa place dans un Québec indépendant; pas plus d'ailleurs que la Constitution canadienne, puisque nous formerions alors une nation pleinement souveraine.  Je suppose que Pierre Dubuc serait d'accord pour dire que cela nous prendrait, dans un tel contexte. et au strict minimum, notre propre Constitution.  Mais aurions-nous encore besoin d'une Charte québécoise des droits et libertés ?  Ne faudrait-il pas alors tout simplement abolir ce qui, du point de vue de Pierre Dubuc -- et il va même jusqu'à théoriser là-dessus -- correspond encore aujourd'hui à une sorte d'"américanisation" de nos propres règles de fonctionnement en société.

Pour Pierre Dubuc, la présence de chartes des droits et libertés marquerait en effet un processus qui, avec le temps, aurait amené à la prédominance du judiciaire (jusqu'à et y compris la présence de plus en plus remarquée de la Cour suprême) sur les pouvoirs politiques.  À suivre jusqu'au bout sa logique, on pourrait conclure qu'un Québec souverain serait peut-être mieux de fonctionner sans charte, ni Cour suprême, proprement québécoise.

Si tel devait être le cas, alors j'aurais une vrai problème avec sa vision d'un Québec indépendant parce que cela voudrait dire qu'un tel Québec représenterait en même temps un net recul par rapport à ce que les Québécois et les Québécoises peuvent d'ores et déjà bénéficier, à l'intérieur du cadre fédéral, c'est-à-dire la possibilité d'en appeler devant différentes cours de justice, y compris lorsqu'il s'agit de remettre en cause une décision prise par nos politiciens.

De l'autre côté, et si Pierre Dubuc croit plutôt qu'une Charte québécoise aurait toujours sa place, dans le cadre d'un Québec souverain, alors pourquoi cherche-t-il actuellement à théoriser sur le fait que de telles chartes seraient intrésèquement mauvaises  ?  La question est tout aussi pertinente.  Au strict minimum, il y aurait là un manque évident de cohérence.  C'est d'ailleurs ce qui me fait dire que Pierre Dubuc se trompe carrément de cible en cherchant, comme il le fait, à s'attaquer au principe même d'une charte des droits et libertés.
 

Un moyen détourné pour justifier le fameux projet de citoyenneté du PQ ?

De toute évidence, Pierre Dubuc semble être bien plus concerné par le fait de trouver une porte de sortie au projet de citoyenneté du PQ, son propre parti, en cherchant ainsi à remettre en cause la présence de chartes des droits et libertés, qu'à regarder froidement, et de manière rationnelle, l'état des choses.  Dans sa tête, il doit sans doute se dire que cela n'est peut-être pas si grave si le projet de citoyenneté va à l'encontre des chartes puisque ces mêmes chartes n'auraient jamais dû exister.  Sauf que tout cela n'est pas vraiment convaincant quand on prend la peine d'y penser un peu plus.  L'exercice est clairement biaisé, tout en étant également plutôt bancal. 

Ce que Pierre Dubuc semble identifier comme une source d'affaiblissement d'un véritable fonctionnement démocratique m'apparaît bien plus comme étant un atout (tout au moins au niveau de la Charte québécoise des droits et libertés) dans la mesure où cela représente quand même, et y compris avec tous les défauts du système actuel de justice, une sorte de contre-pouvoir face à des gouvernements qui n'hésitent souvent pas à passer outre à leurs propres lois de manière à arriver à leurs propres fins.
 

Des problèmes réels mais la solution proposée pose des problèmes tout aussi majeurs ...

Le fait que les juges soient nommés, et non élus, étaient au départ supposé garantir l'indépendance de ces juges.  Personne, moi le dernier, ne contredira Pierre Dubuc par rapport au fait que cette indépendance est plutôt discutable, dans les faits, et que ces mêmes juges ne sont finalement pas vraiment redevables devant personne.  En soi, c'est un problème.  Personne ne contredira non plus Pierre Dubuc à propos des nombreux manquements au système judiciaire.  En commençant par le fait que ce système a plutôt tendance à devenir de moins en moins accessible pour le commun des mortels.

Pierre Dubuc a tout a fait raison lorsqu'il souligne que les juges sont "inamovibles", qu'ils sont en général "issus de la classe dominante", qu'ils sont également nommés "pour des considérations partisanes" et qu'après leur nomination, il peut être très difficile de les démettre ou de les pousser vers la retraite...

Sauf que ce que Pierre Dubuc laisse supposer, en termes de solutions et de restrictions éventuelles du pouvoir des juges, notamment en ce qui concerne leur capacité de contester des décisions gouvernementales, ne changeraient rien par rapport à tout cela et aurait en même temps comme résultat de réduire d'autant la possibilité des gens de contester des décisions gouvernementales, quand ils croient que leurs propres droits sont lésés.

Même Pierre Dubuc est obligé de reconnaître cet état de fait lorsqu'il admet que les Chartes des droits et libertés, avec tous leurs défauts, continuent encore aujourd'hui à être régulièrement utilisées par toute sortes de gens de gauche.

Pierre Dubuc a beau faire référence, dans son texte, ainsi que dans d'autres textes, au fait que l'ex-premier ministre fédéral Pierre-Elliot Trudeau aurait cherché à utiliser l'existence de la Charte canadienne comme instrument pour nier le droit des Québécois et des Québécoises de décider librement de leur propre avenir.  C'est en fait fort possible, d'autant que Trudeau considérait que ce droit à l'autodétermination n'existait pas pour le Québec (où ne devrait pas exister). Mais cela ne change pas, pour autant, la donne quant à l'attitude que le mouvement souverainiste -- ainsi que l'ensemble des forces progressistes -- devrait avoir en matière de respect des règles démocratiques, ainsi que des libertés individuelles.

Cela est d'autant plus vrai que le problème de fond ne réside pas, à mon sens, dans la Charte des droits et libertés, que ce soit au niveau canadien ou québécois, mais bien plutôt dans le fait que la Constitution canadienne nie justement les droits du Québec et que jamais le Canada anglais ne changera d'attitude face au Québec, sans que celui-ci n'ait au préalable clairement affirmé ses intentions en s'affirmant de manière majoritaire pour cet objectif de souveraineté.  D'où l'importance de faire la souveraineté, soit dit en passant.

On aura beau maugréer contre cette fameuse constitution canadienne mais, d'ici à ce qu'on devienne effectivement indépendant, une réalité demeure : nous continuons toujours à faire partie du Canada et, à ce titre, il ne sert finalement à rien de vouloir mettre la charrue avant les boeufs.  En bout de ligne, cela ne nous fera pas aller plus vite.  Tout au contraire, cela pourrait même nous amener à faire de sérieuses erreurs.  Comme le fait le PQ.  Il faut juste trouver la bonne stratégie et les bonnes tactiques qui feront que le Québec pourra effectivement, de manière démocratique, enfin acquérir sa souveraineté.

Pierre Dubuc se trompe tout autant de cibles quand il déplore le fait que ces fameuses chartes escamoteraient tout autant les notions de classes et que cela justifierait, une fois encore, qu'on s'en débarrasse.   Le problème de fonds réside en fait, et une fois de plus, dans les nombreuses lacunes et silences de la Constitution canadienne.  N'oublions pas en effet le fait qu'une Charte des droits et libertés de la personne, comme son nom l'indique, est d'abord supposée traiter des droits individuels.  La Constitution canadienne aurait tout aussi bien pu inclure des références explicites au droit fondamental des travailleurs et des travailleuses, en tant que classe sociale, de pouvoir s'organiser entre eux et de faire ... la grève.  Ailleurs dans le monde, et dans bien d'autres constitutions, de telles références  existent en effet.  Mais pas au Canada.
 

Une autre approche

Le jour où le Québec sera indépendant et aura sa propre Constitution, il faut espérer que celle-ci sera, de fait, nettement meilleure que l'actuelle Constitution canadienne et qu'elle inclura, entre autres choses, de meilleures protections pour l'ensemble des travailleurs et des travailleuses, en tant que classe sociale.  Pour moi, non seulement le renforcement des droits collectifs ne devraient pas aller en contradiction avec le renforcement des droits individuels, mais les deux devraient plutôt aller de pair.

L'exemple du Venezuela, où un processus de refonte en profondeur de la Constitution, via une assemblée constituante et la tenue de référendums, a actuellement cours est un bel exemple de ce qui peut être fait.  Sans vouloir prétendre que tout serait parfait là-bas, l'exercice est certainement supérieur à tout ce qu'on a pu nous-mêmes connaître à cet égard, jusqu'ici.

Parlant de ce fameux projet de refonte de la Constitution au Venezuela, la plupart des médias se limitent à dire que ce projet serait profondément anti-démocratique, simplement parce que ce projet n'inclurait plus de limitation en termes du nombre de mandats qu'un président de la République pourrait mener.  Première constatation : ici même au Canada, et même au Québec, il n'existe pas plus de ce genre de limitation; pourtant, aucun des grands médias actuels n'oserait prétendre qu'on vivrait sous un régime autocratique; en soi, il y a une nette contradiction.  Mais le plus important est ailleurs.  Si on prend en effet la peine de lire dans le détail ce qui est actuellement proposé comme changements à la Constitution du Venezuela, on ne peut qu'être frappé par l'effort de mieux protéger les droits et libertés, que se soient sur les plans collectif qu'individuels.

L'idée proposée par Québec solidaire de justement mettre en place, dans le cadre d'un processus d'accession à la souveraineté, une Assemblée Constituante, et qui serait chargée d'élaborer une telle constitution -- une idée à laquelle nous souscrivons une fois encore totalement (puisque cela fait d'ailleurs partie de notre programme depuis déjà des années) -- pourrait éventuellement servir également à bonifier l'actuelle Charte québécoise des droits et libertés.

Parce que nous voulons qu'un tel projet soit inclusif, avec une nette conation, allant dans le sens d'un projet de société où c'est le bien commun qui l'emporterait, on se doit tout autant d'être clair sur le fait qu'une telle démarche soit le plus démocratique possible et qu'elle devra en même temps respecter les droits et les libertés de chacun et de chacune, en tant qu'individus.  Cela implique, à mon sens, de non seulement préserver pour le Québec une charte des droits et libertés au travers d'un exercice le plus démocratique possible de consultation et de participation, mais aussi de chercher à l'améliorer.  À la longue, le tout ne pourra qu'être à l'avantage du combat pour la souveraineté du Québec et le progrès social.  Le fait de ne pas le faire ne pourrait, à l'inverse, que nous nuire.  Le même commentaire devrait également s'appliquer à la lutte pour le socialisme, ce qui pour nous représenterait la suite logique des choses.

En lieu et place de chercher à s'attaquer à une quelconque valeur intrésèquement mauvaise des chartes des droits et libertés, pourquoi Pierre Dubuc n'utiliserait pas son temps à défendre ce fameux projet d'Assemblée constituante, un projet dont les origines remonte en fait au temps des Patriotes ?  Il me semble que cela serait pas mal plus utile.  Cela est d'autant plus vrai que l'autre projet du PQ, portant celui-là sur la mise sur pied d'une commission spéciale de l'Assemblée Nationale dont le mandat serait justement de rédiger une nouvelle constitution pour le Québec, a une fois encore le défaut de ne pas favoriser le maximum de participation des citoyens.
 

C'est bien dommage...

Trop souvent par le passé, aussi bien ici qu'ailleurs,  les droits individuels ont été bafoués, soit disant parce qu'il fallait au préalable penser à l'ensemble de la collectivité.  Quitte à couper les "coins ronds".  Cela s'est même fait au nom du socialisme, et c'est d'ailleurs bien malheureux.  Cela devrait nous amener à être très précautionneux, chaque fois qu'il s'agit de traiter justement de ces questions.

À ce titre, Il est plutôt ironique de voir quelqu'un, comme Pierre Dubuc, qui se dit pourtant social-démocrate, qui ne se gène habituellement pas pour dénoncer les manières quasi-totalitaristes qu'utilise parfois le fédéral contre le Québec et qui, je l'imagine, doit sûrement être tout aussi critique des expériences socialistes passées, en venir finalement à proposer ce qui revient dans les faits à jouer avec les libertés individuelles.  Comme si, dans le fonds, la fin pouvait toujours, et une fois encore, justifier tous les moyens.  Pourtant c'est effectivement ce qui semble se produire, ici et c'est plutôt dommage.  Enfin ...

Montréal, le 9 novembre 2007.

 

(1) : Cliquez ici pour accéder au texte de Pierre Dubuc, intitulé : La charte et la dictature des juges,25 oct. 2007.

 

 


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