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Par André Parizeau (*)
 

On peut certes se désoler que l'opposition aux Conservateurs n'ait pas été aussi forte au Canada anglais.  Au Québec, on peut cependant dire que c'est mission accomplie.

Contrairement à ce que bien des commentateurs ont pu dire et continuent à prétendre, envers et contre les évidences, la campagne du Bloc a marché.  Et n'aurait été de la division du vote, avec le NPD, notamment dans la grande région de Québec, le résultat aurait été encore mieux.  Harper a littéralement frappé ses plus gros obstacles au Québec.

Les Conservateurs réussissent à maintenir, ici, le même nombre de députéEs qu'ils avaient avant le déclenchement des élections; mais dans près de la moitié des circonscriptions où ils l'ont finalement emporté, on notera que le nombre total de voix obtenus par ceux-ci est en fait inférieur (et dans certains cas, la marge est même assez significative) à ceux obtenus au cumul par le Bloc et le NPD. On peut assez facilement imaginer ce qui se serait passé s'il y avait eu meilleure coopération entre ces deux formations: les Conservateurs en auraient mangé toute une ! Je ne parle même pas, ici, du vote obtenus par les Verts, considérant que ce Parti pouvait aussi bien s'adresser, selon le cas, à un électorat de gauche que de droite. Sans même les faire entrer dans l'équation, le constat est assez clair.

Globalement, on notera également que le total des appuis recueillis, à la fois par le Bloc et le NPD, représentent maintenant plus de 50% de l'électorat total au Québec, soit près de 1% de plus qu'en 2006.  S'il est vrai que le total des pourcentages obtenus par le Bloc est en baisse (par rapport à ce qu'il était en 2006), cette baisse est en fait très largement compensée par les gains faits par le NPD (une hausse de 4.7%).

Entre temps, le total des appuis, du côté des Conservateurs, passe pour leur part de 24.6 (qu'il était en 2006) à 21.7%.   C'est quand même une baisse notable, d'autant que les appuis des Conservateurs au Québec, au début de la campagne, frôlaient alors ceux du Bloc et avait franchi la barrière des 30%.  Finalement du côté des libéraux, cela monte, mais pas trop.  De 20.8% que cet appui était en 2006, on passe en effet à 23.7%.  Au finish, tout au moins pour ce qui est du Québec, c'est donc pas si pire.

Cela devrait en même temps aider à fermer le clapet à tous ceux et celles qui voudraient encore nous faire croire que les Québécois et les Québécoises sont des gens qui lorgnent de plus en plus vers la droite.  Considérant le fait que la campagne du NPD, ainsi que du Bloc, était assez clairement orienté plus à gauche (surtout si on les compare à ce que disait les autres), et considérant finalement les chiffres mentionnés plus haut, tout cela semble plutôt indiquer une tendance contraire.

Il reste évidemment à voir comment tout cela pourra éventuellement se traduire au niveau de politique provinciale, notamment dans le cadre de la prochaine élection provinciale, où rien n'est pour autant encore joué, mais où le premier ministre Charest, lui-même un ex-conservateur, semble au moins pour le moment bénéficier d'une très large avance, tandis que l'ADQ, mais aussi le PQ, traînent littéralement de la patte.  Du côté de Québec solidaire, on note en même temps de sérieuses difficultés pour véritablement s'affirmer et s'imposer sur l'échiquier politique.  On y reviendra.

La plus grande déception, pour cette élection sur le plan fédéral, réside sans doute dans le fait que Justin Trudeau, du Parti Libéral, ait finalement réussi à ravir la circonscription de Papineau des mains de la députée sortante du Bloc, Vivian Barbot.  Dans Ahunstic, une circonscription voisine, où on s'attendait également à une lutte très chaude, c'est finalement le Bloc qui l'emporte, mais seulement par la peau des fesses et il s'en sera fallu de peu.  La marge est en même temps si petite qu'il y aura probablement recomptage et que l'issue finale dans ce comté n'est peut-être pas encore déterminée complètement.

Dans les deux cas, soit dans Ahunstic et dans Papineau, n'aurait été de la division du vote entre le Bloc et le NPD, les libéraux auraient assez facilement mordu la poussière.  Quant aux Conservateurs, toujours dans ces deux circonscriptions, ils n'étaient pas vraiment dans la course.

La situation est dans le fonds assez similaire dans la grande région de Québec où les Conservateurs étaient beaucoup plus fort, mais où la force combinée du Bloc et du NPD aurait eu raison assez facilement de plusieurs de leurs victoires.  Même André Arthur aurait été défait haut la main.

La situation est d'autant plus désolante qu'à la fin de la campagne, la publicité du NPD visait plus le Bloc que les Conservateurs.  Ce qui est un peu bizarre quand on pense que le NPD se disait d'abord préoccupé par le fait de battre la menace posée par les Conservateurs ...  J'oserais même dire que le dernier spot publicitaire du NPD à la TV, qui était destinée à un public québécois et qui visait le Bloc, était particulièrement insidieux et malhonnête.

Sur une note plus positive, il faut se réjouir du fait que Thomas Mulcair ait finalement pu se faire réélire dans Outremont.  C'est la première fois qu'un candidat NPD réussit ainsi à se faire réélire au Québec, lors d'une générale.  Il demeure cependant le seul député NPD en provenance du Québec (comparativement à 50 pour le Bloc).

Au niveau du Canada anglais, la crise politique reste pour l'essentiel aussi intense qu'avant les élections.  Le NPD gagne des sièges de plus, notamment en Ontario, mais ne réussit pas pour autant à percer plus au niveau des pourcentages des votes à travers tout le Canada.  Du côté des libéraux, la situation est globalement encore pire qu'elle pouvait l'être avant les élections, ce qui n'est pas peu dire.  Les 2.9% de gains au Québec ne pourront faire oublier l'érosion grandissante de ses bases d'appuis, non seulement dans l'Ouest canadien, mais aussi et en particulier en Ontario.  Entre temps, et de leur côté, les Conservateurs continuent toujours à avoir de la misère à percer véritablement, au delà de leurs châteaux forts régionaux.  En même temps, ils semblent consolider encore plus leur emprise dans l'Ouest.

Tout cela ne pourra à terme que renforcer du même coup le fossé grandissant qu'il y a, entre d'une part le Québec et, d'autre part, ce qui est aussi en train de se passer ailleurs, dans le reste du Canada.  De ce point de vue, la question de l'indépendance du Québec garde toujours, et plus que jamais, sa pertinence.

 

(*)  André Parizeau était jusqu'à récemment le chef du PCQ.  Lors du XVIe congrès du PCQ, qui se tenait du 17 au 19 octobre 2008, un nouveau chef du parti fut élu en remplacement de ce dernier; André Parizeau avait déjà annoncé plusieurs mois avant qu'il ne demanderait pas un renouvellement de son mandat lors de ce congrès, préférant laisser la place à la relève.  Celui-ci demeure cependant porte-parole principal du Parti.  Le nouveau chef est maintenant Francis Gagnon Bergmann.



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