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La situation reste encore très volatile
 

Par André Parizeau
Chef du PCQ

Le fait que l'ADQ soit aujourd'hui l'opposition officielle, reléguant ainsi le PQ au rôle de tierce parti, est vécue dans certains milieux comme un tsunami, pour reprendre une expression utilisée par un des principaux leaders syndicaux au Québec, soit Réjean Parent de la CSQ.  Mais cela ne veut pas dire que tout le Québec ait viré pour autant à droite depuis le 26 mars, comme certains ont déjà commencé à le prétendre sur certains blogs.  Cela demande une analyse un peu plus nuancée.

De ce point de vue, le commentaire de la président de la CSN, Claudette Carbonneau, comme quoi il faudrait pousser un peu plus loin cette analyse, mérite d'être retenue.

Comme le souligne, avec beaucoup de justesse, un communiqué de la CSN à ce propos, "Il est loin d’être certain que le verdict du 26 mars traduit un revirement des valeurs chez les Québécoises et les Québécois. La dégelée réservée au Parti libéral en constitue une preuve. Les Québécoises et les Québécois ne revendiquaient pas massivement des baisses d’impôts. C’est vers la nouveauté que s’est canalisé le vote. Rappelons-nous simplement que le vent de changement pour lequel les Québécois avaient voté à l'avant dernière élection s’est rapidement transformé en "J’ai jamais voté pour ça !". Nous verrons Mario Dumont à l’oeuvre au cours des prochains mois. Entre le vote de mécontentement, la volonté de changement, les propositions de droite de l’ADQ et la réalité, il y a tout un monde."

S'il est tout à fait vrai qu'il faille se préoccuper de cette percée de la part de l'ADQ, à cause précisément des positions particulièrement à droite de ce parti, il reste à voir si ces succès, de la part de ce parti, sauront résister aux pressions du temps.  Il y a encore beaucoup d'eau qui pourrait couler en dessous des ponts et bien des choses peuvent encore changer...

Une réalité qui peut certes être dure à prendre du côté du PQ

Une fois cela dit, pour ceux et celles qui ne juraient que par le PQ, le choc peut -- et on peut effectivement le comprendre -- être très dur à prendre, d'autant que la percée de l'ADQ s'est fait, y compris dans des régions qui étaient considérés jusqu'à tout récemment comme des châteaux du PQ, telle la zone du 450.

Le PQ n'a cependant qu'à se regarder lui-même pour expliquer ses propres reculs.  Depuis déjà un certain temps, ce parti n'arrête pas de reprendre à son compte des idées de droite.  Son orientation est devenue, au fil des années, une orientation qui se distingue de moins en moins de celles de ses adversaires.  Son chef, André Boisclair, appelait lui-même à une alliance entre son parti et l'ADQ, vers la fin de la campagne électorale.

En bout de piste, les électeurs et les électrices qui ont finalement voté pour l'ADQ (et qui pouvaient auparavant voter PQ), ont dû se dire, une fois dans l'isoloir, qu'il valait sans doute mieux essayer quelque chose d'autre, plutôt que de voter encore une fois pour un parti qui, dans les faits, se distingue de moins en moins de son principal adversaire (les libéraux) et qui, de toute manière, n'est même plus capable de faire la promotion ouverte et claire de son principal objectif politique, soit la souveraineté du Québec.

Cela faisait partie du ras le bol qui existe depuis déjà un bon bout de temps dans l'électorat.  Certains constants s'imposent en même temps.

La souveraineté : un projet toujours bien vivant

Tout cela ne veut pas dire que le projet de souveraineté soit mort pour autant.  Cela ne veut pas dire non plus qu'il faille remettre le tout aux calendres grecques, en attendant la réalisation de conditions gagnantes, lesquelles deviennent en même temps de plus en plus nébuleuses.  Si le PQ veut agir de la sorte, comme semble le dire son chef, André Boisclair, c'est son choix mais cela ne veut pas dire que ce soit non plus le bon choix.

Il faut se rappeler que le pourcentage d'appuis au sein de la population pour ce projet continue toujours à avoisiner les 45%, ce qui est déjà pas mal considérant le fait que celui qui se faisait auparavant le principal promoteur de ce projet (le PQ) n'en parle à peu près plus.

Le fait que les appuis au PQ continuent de baisser, alors que les appuis au projet de souveraineté demeurent toujours élevés, démontre uniquement que ce projet n'est plus l'apanage exclusif du PQ.  On ne s'en plaindra pas car le PQ avait très largement contribué à renvoyer, au cours des dernières années, ce projet politique vers une voie de cul de sac.

Les idées de gauche demeurent encore très présentes dans la population

Le fait que Québec solidaire n'ait finalement réussi, pour sa part qu'à enregistrer un faible score (toutes proportions gardées) est tout à fait normal, dans les circonstances, considérant le fait que le parti n'a qu'à peine un an et que la bataille était déjà très polarisée. Il y avait aussi les médias qui ne nous ont pas fait de cadeaux. L'action politique, qu'on se le dise, est affaires de patience.  Tous ceux qui ont fini par percer dans cette arène, y compris Mario Dumont, en savent quelque chose.

Le fait que peu de monde ait finalement pris la peine de voter pour Québec solidaire le 26 démontre uniquement qu'il reste encore pas mal de travail de terrain à faire pour que l'appui spontané qui existe pour le genre d'idées contenues dans le programme de Québec solidaire se traduise effectivement en votes.

Tous les sondages le démontrent en effet : la population tient très largement à une justice sociale; elle veut des programmes sociaux accessibles à tous, publics et gratuits.  Le problème, c'est que, une fois dans l'isoloir, c'est souvent d'autres considérations qui finissent pas l'emporter.  Avec les résultats qu'on connaît.  On peut très certainement déplorer un tel état de fait.  Par la même logique, on pourrait également déplorer le fait que tant de gens votent toujours pour les libéraux.  On pourrait également déplorer le fait que tant de souverainistes continuent encore de voter pour le PQ alors que ce parti parle de moins en moins de souveraineté.  Mais cela ne veut certainement pas dire pour autant que les Québécois et les Québécoises auraient tous et toutes virés à droite.

La force de l'ADQ doit en même temps être relativisée

La force réelle de l'ADQ (au delà du nombre de députés sur lequel il peut désormais compter) doit elle même être relativisée.

Selon les derniers chiffres du DGEQ, le total des appuis reçus par l'ADQ totaliserait 30,8% des électeurs et des électrices s'étant prévalus de leur droit de votes. Considérant que seulement 70% des gens se sont effectivement déplacés pour aller voter, cela veut donc dire qu'à peine 21% de la population adulte a effectivement voté pour ce parti.  On est donc loin d'un raz de marée.

Il faut en même temps souligner le fait que dans bien des circonscriptions les luttes furent très serrées.  Si dans plusieurs d'entre elles, l'ADQ l'a finalement emportée, ce n'est pas forcément par une très grande marge et il est loin d'être évident que le scénario du 26 mars se répètera aussi facilement, lors de la prochaine élection.

Québec solidaire a elle-même eu à subir cette dure médecine, imposée par les limites de l'actuelle loi électorale.  Dans Mercier, Amir Khadir a passé bien près de se faire élire.  Dans ce cas plus particulier, il faut cependant le préciser, l'adversaire principal n'était ni l'ADQ, ni les libéraux (puisque tous deux étaient loin en arrière), mais bien le PQ.

Le vrai malheur dans la situation actuelle réside d'abord et avant tout dans le fait que Québec solidaire soit encore si jeune et manque encore autant de ressources, ce qui l'empêche finalement de pouvoir jouer pleinement son rôle.  Mais cela peut changer.

Bien des choses pourraient effectivement encore changées

Effectivement, et à partir de maintenant, bien des choses pourraient encore changer.  Commençons par ce qui pourrait arriver au PQ.  Si le PQ devait ultimement consolider son virage à droite (comme cela semble être le cas), deux issues pourraient se produire.

Ou bien le PQ tassera effectivement l'ADQ mais il pourrait bien alors perdre, à travers ce processus, tout ceux et celles qui, plus à gauche, continuaient encore à l'appuyer; cela voudrait alors dire que la "balloune" de l'ADQ se dégonflerait du même coup.  Ou bien, et ce sera alors l'autre scénario possible, le PQ continuera sa descente aux enfers, ce qui pourrait alors signifier pour l'ADQ plus de coudées franches pour se consolider.

Il est en effet peu plausible, surtout dans le cadre du système électoral actuel, que ces deux formations (l'ADQ et le PQ) puissent encore bien longtemps coexister, côte à côte.  Toutes deux puisent une bonne partie de leurs aspirations dans un nationalisme de droite (par opposition aux libéraux qui, tout en étant également de droite, demeurent quand même beaucoup plus associées à un fédéralisme pur et dur).  L'une de ces deux formations, soit le PQ et l'ADQ, finira inévitablement par tasser l'autre, à moins bien sûr que l'ADQ ne finisse par rejoindre le bercail libéral (ce qui est aussi toujours possible).

L'autre scénario, qui impliquerait de la part du PQ un réalignement quasi total de son orientation et un retour vers un discours beaucoup plus à gauche, apparaît de moins en moins plausible.  Même si le chef actuel du PQ, André Boisclair, devait ultimement partir, ce qui semble de plus en plus probable, il est de plus en plus douteux qu'un changement de chef puisse réellement entraîner un tel réalignement.

Le fait que le Bloc Québécois et son actuel chef, Gilles Duceppe, se rangent de plus en plus, et à leur tour, derrière l'orientation de l'actuelle direction du PQ -- cela était déjà manifeste au moment du vote sur la fameuse déclaration sur le Québec, l'automne dernier, et cela l'était à nouveau, tout récemment encore, lors du vote sur le budget fédéral -- est une indication de plus du fait que cette orientation est déjà bien ancrée au sein de cette section du mouvement souverainiste et que cela va bien au delà de la présence ou non d'André Boisclair.

L'absence d'un gouvernement majoritaire à Québec est finalement une bonne chose

Le fait qu'aucun des principaux partis, soient les libéraux, le PQ et l'ADQ, n'aient finalement pu obtenir assez d'appuis pour former un gouvernement majoritaire est finalement une très bonne chose.  D'autant que la seule autre possibilité -- pour être tout à fait réaliste -- aurait été le retour d'un gouvernement libéral majoritaire.

Tous les trois principaux partis logent à droite.  Mais cela ne veut pas dire qu'ils sont forcément d'accords sur tout, ainsi que sur la manière de le faire.  Chacun de ces partis devra composer avec les autres, ce qui devraient en même temps éviter qu'ils retombent trop vite dans la même arrogance auquel les libéraux (mais aussi le PQ) nous avaient habitué.  Cela est d'autant plus que le raz le bol, au sein de la population, est déjà bien manifeste.  Chacun de ces partis (et cela inclut aussi l'ADQ) doit en même temps penser en fonction des prochaines élections ...

Bien concrètement, ils devront donc tous faire très attention.  Le débat autour du nouveau budget sera un premier test.  Charest veut utiliser la majeure partie des argents cédés par le fédéral, au niveau du déséquilibre fiscal, pour donner des baisses d'impôts à une partie de la population, au lieu de réinvestir les sommes dans les programmes sociaux.  Les deux autres partis se sont tous déjà prononcé contre une telle approche.  Évidemment, aucun ne voudrait de nouvelles élections tout de suite... Il sera alors intéressant de voir comment tout cela va tourner.

Dans le dossier des frais de scolarité, l'ADQ et les libéraux sont pas mal sur la même longueur d'ondes.  Conséquemment, les associations étudiantes sont préoccupées et elles ont bien raison de l'être.  Ce sera un autre dossier à suivre attentivement.

Si jamais le gouvernement fédéral de Stephen Harper devait, de son côté, déclencher des élections fédérales, cela pourrait aussi venir compliquer la donne et, possiblement, aiguiser encore plus les contradictions entre les divers courants de droite, sur la scène politique québécoise.

Des défis à gauche qui restent de taille

D'une manière ou d'une autre, Québec solidaire devra travailler très fort, de son côté, pour se bâtir et étendre son influence à partir de maintenant, de manière à aller chercher justement toute cette frange de gens de plus en plus déçus par les politiques suivies par la direction du PQ ainsi que par l'ensemble des autres grands partis politiques.  Il devra s'adresser en particulier à tous ceux et celles qui s'inquiètent de la montée du discours à droite.  Cela lui donnera en même temps une force décuplée s'il devait effectivement y arriver.  Et cela pourrait en même temps, et à terme, nous aider à modifier le rapport de force entre la droite et la gauche.

Le fait d'avoir obtenu 4% dans les élections est, certes, un bon point de départ; on a tous de quoi être fiers des avancées faites (par rapport aux élections de 2003); mais cela reste bien évidemment trop faible encore pour pouvoir véritablement confronter la droite.

À ce sujet, un des défis les plus importants dans la prochaine période consistera à tout faire pour élargir les appuis de Québec solidaire au sein des syndicats.  Encore aujourd'hui, une partie très importante des militants et des militantes oeuvrant dans les syndicats appuient toujours le PQ.  Il y a aussi une section de plus en plus importantes de ces militants et de ces militantes qui sont de plus en plus désabusés par la politique.

L'implication ou non de ces militants et de ces militantes, dans un sens ou dans l'autre de l'action politique, jouera forcément de manière très importante sur l'évolution future des choses.

S'il y a une chose que les élections du 26 mars a vraiment mis en valeur, c'est d'abord et avant tout la fin du modèle de bipartisme, vieux reliquat du système parlementaire britannique.  à plus d'un égard, cela devrait aider Québec solidaire à ouvrir des portes.  Reste aux forces de gauche à démontrer qu'ils peuvent effectivement devenir une véritable alternative et qu'ils peuvent faire contrepoids à la droite.

Pour ce faire, Québec solidaire devra non seulement chercher à se rapprocher de "l'aile gauche" du PQ mais il devra également trouver la manière d'aller chercher beaucoup plus d'appuis dans la frange des quelques 30% des gens qui ne sont tout simplement pas aller voter le 26.

 

 


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