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Par André Parizeau
Chef du PCQ
Il y a 30 ans, nous avions au Québec une sidérurgie digne de ce nom qui commençait enfin à prendre forme. Nous avions aussi de nombreux chantiers navals, des usines qui assemblaient des voitures, des locomotives, des moteurs et des turbines de toutes sortes. On fabriquait toutes sortes d'appareils électroménagers. Montréal était un centre pour l'industrie chimique en même temps qu'un centre important pour l'industrie du vêtement et du textile. Aussi bien dans l'Est de Montréal, que dans le sud-ouest de l'Île de Montréal, des milliers de travailleurs et de travailleuses avaient des emplois syndiqués et souvent beaucoup mieux payés que ce qu'on voit le plus souvent maintenant. Ailleurs en région, l'industrie du bois et des pâtes et papier marchait à plein régime, etc. Il y a 30 ans, l'avenir semblait relativement florissant.
Aujourd'hui, une bonne partie de ces secteurs, qui se voulaient pourtant prometteurs, n'existent plus ou ont été ramenés à leur plus petite expression. D'autres secteurs existent toujours mais sont mal en point.
Aussi paradoxal que cela puisse sembler, le Québec ne produit même plus une seule paire de patins de hockey alors que ce sport est pourtant étroitement associé à toute notre culture. La dernière usine à en produire fut finalement rachetée par Nike qui l'a ensuite fermée pour en déménager bien sûr la production là où vous en doutez...
En lieu et place, ce sont les Wall Mart qui se multiplient en même temps que les emplois précaires, temporaires et à temps partiel. Et pendant ce temps, ce sont aussi les maigres contrôles qui pouvaient encore exister au Québec pour assurer un minimum de cohérence dans les grandes décisions économiques qui sont en train de foutre aussi le camp.
Il y a 30 ans, sous la pression de la Révolution tranquille, qui nous avait enfin fait sortir de la Grande noirceur et nous avait rapidement ramené dans la modernité, les gouvernements en place, malgré toutes leurs faiblesses et incohérences, avaient au moins un minimum de stratégie en matière de développement économique.
Gérer la décroissance et aussi ... notre appauvrissement
Aujourd'hui, plus personne, au sein du gouvernement libéral -- et plus personne non plus au sein du PQ, le principal parti d'opposition -- ne parle de redévelopper une stratégie pour mettre fin à cette hémorragie car ils n'en ont pas. Du côté de l'ADQ, cela ne vaut même pas la peine d'en parler. Tout ces gens n'ont plus qu'une seule pensée : comment gérer la décroissance sans trop nuire au rouleau compresseur du néo-libéralisme et de la mondialisation capitaliste, deux monstres sacrés auxquels ils ont tous fini par se soumettre d'une manière ou d'une autre. Un mot reste à la mode : la réingénérie de l'État québécois . Faut-il s'en surprendre alors que c'est justement cet État qui fut à la base de toute la Révolution tranquille des années 60 ? Pas vraiment.
Plus que jamais, ce qui compte surtout pour ces gens, c'est de ne pas déplaire à la grande entreprise et aux grosses multinationales.
Il n'y a pas si longtemps encore, GM fermait la seule usine encore ouverte d'assemblage d'automobiles au Québec. C'était un vrai scandale puisque cette compagnie avait reçu des centaines de millions de dollars des deux paliers de gouvernements (à Québec et à Ottawa) en échange de promesses de maintenir les emplois dans cette usine. À l'époque, le PQ était encore au pouvoir sous la gouverne de l'ex-chef de ce parti, Bernard Landry. Ce dernier aurait pu essayer de faire quelque chose mais il laissa faire GM en bout de ligne.
Sans doute que cela ne cadrait alors pas avec les priorités de Bernard Landry par rapport à son grand projet d'éléphant blanc de développer les "hautes technologies" et de recentrer une bonne partie des activités au Québec vers ce secteur. Un projet dont, du reste, plus personne ne parle aujourd'hui.
Deux poids, deux mesures
Normalement, lorsque vous empruntez de l'argent à la banque pour acheter une maison et que vous manquez par la suite à vos obligations vis-à-vis de celle-ci, vous ne tardez pas à en subir les contrecoups. Vous pouvez même vous faire saisir votre maison. Alors pourquoi faut-il que les règles soient différentes quand il s'agit de grandes multinationales comme GM.
Le gouvernement du Québec aurait pu se servir des installations dans cette usine pour son fameux projet de voitures électriques, lequel marchait encore à ce moment, au moins officiellement. Mais non ! Cela aurait été trop demander à ces politiciens. Une fois encore, on a pu voir où étaient leurs intérêts...
Ils auraient également pu tirer la leçon de ces événements en resserrant les règles lors de l'octroi de subventions ou de prêts à la grande entreprise. Même pas.
Plus récemment, on apprenait de la bouche du gouvernement libéral de Jean Charest, que celui-ci mettait maintenant officiellement la hache dans le projet de cette fameuse voiture électrique en refilant la balle à nulle autre qu'une autre grande multinationale, celle-là française. Cette dernière commencera, avec l'accord de nos politiciens à Québec, à construire ... une voiture électrique en Chine. Pour ce qui est des retours à prévoir pour le Québec, il seront tout simplement nuls : aucun emplois, même pas un petit contrat de sous-traitance. Wow ! Et pour boucler la boucle, on apprenait quelque jours plus tard la fermeture sauvage, en pleine nuit, de cette usine de batterie, co-propriété du gouvernement du Québec (via l'Hydro Québec); cette usine représentait en même temps le dernier élément de ce fameux projet pour une voiture électrique "made in Quebec".
Le lien avec Kyoto
Ce projet d'une auto électrique aurait pu faire partie d'une éventuelle stratégie pour la relance de notre économie. Cela est d'autant plus vrai qu'un tel projet aurait été une manière concrète de participer aux efforts à faire pour réduire les gaz à effet de serres et aider à l'accomplissement des objectifs de Kyoto. Quand on sait l'impact du parc actuel d'automobiles à nos problèmes d'environnement, cela n'était pas sorcier à comprendre. On aurait en même temps pu profiter de toute l'expertise existant déjà au Québec en la matière, sans parler du fait que le Québec est déjà un des plus grands producteurs d'aluminium (ce qui n'est pas à dédaigner quand on parle de construire une voiture plus légère).
Au lieu de céder notre expertise à d'autres comme le PQ et les libéraux l'ont finalement fait, comment se fait-il qu'on ne soit pas déjà en train de construire, ici même, une telle auto, quitte à l'exporter ensuite en Chine après ? Comment se fait-il qu'on ait finalement cédé nos idées à une autre multinationale ? Les Chinois semblent avoir compris l'importance d'avoir de telles voitures puisqu'ils sont maintenant prêts à en acheter de cette multinationale. Et cela est bien tant mieux; imaginez seulement si tous les Chinois se mettaient en effet à acheter des voitures toutes plus polluantes les unes que les autres...
Personnellement, je ne peux comprendre pourquoi notre gouvernement peut affirmer qu'un tel projet, en faveur d'une auto électrique, n'était plus vraiment rentable alors qu'une multinationale, elle, pense exactement le contraire.
Comment se fait-il qu'on ne soit pas tous et toutes en train d'exiger que le gouvernement reprenne au plus vitre ce dossier en main au lieu de continuer à multiplier les cadeaux à la grande entreprise tout en espérer que celle-ci soit gentille et qu'elle ne finisse pas, comme GM et tant d'autres l'ont déjà fait, par plier bagage en nous laissant gros jean comme devant ? C'est tout aussi difficile à comprendre.
Tout le monde, au Parlement, à Québec comme à Ottawa, aime bien parler d'environnement mais où sont donc les gestes réels démontrant qu'il ne s'agit pas simplement de paroles en l'air ? ...
Une question de volonté ... ou d'absence de volonté politique
À notre point de vue, le projet d'une auto électrique n'est pas mort pour autant. Évidemment, cela prendrait une volonté politique pour le relancer. Ce que ni les libéraux, l'ADQ, ou même le PQ ne semble avoir. Un gouvernement de gauche, dirigé par Québec solidaire, pourrait par contre le faire. Il pourrait même profiter du fait qu'il contrôle lui-même un énorme parc de voitures, de camionnettes et de camions, pour faire les premiers pas, donner l'exemple et se procurer cette fameuse voiture pour remplacer son propre parc de véhicules. Ce serait un premier pas et il aurait alors tout le loisir de le faire sans même à avoir à se soucier d'une concurrence ou des objections qui pourrait venir de certains gros lobby (puisque c'est son propre parc automobile).
En attendant, ce dossier d'une voiture électrique québécoise est vraiment le summum en matière de cafouillages et d'incompétence grasse ! Cela illustre probablement mieux que tout autre cas, l'absence quasi totale de perspective chez ces politiciens en matière de développement économique, en même temps que l'urgence, pour les forces de gauche et l'ensemble des organisations ouvrières et populaires, de redévelopper une stratégie cohérente, claire et efficace pour stopper cette hémorragie et relancer justement notre économie.
Une telle stratégie devrait en même temps respecter les principes d'économie durable et du respect de notre environnement. Le jour que les travailleurs et les travailleuses seront au pouvoir, il serait certainement plus facile de régler de telles anomalies. En attendant, il est cependant faux de penser qu'on ne peut rien faire. Dès maintenant, on peut faire certaines choses.
Les syndicats québécois peuvent à cet égard jouer un rôle très important, de part la force de leur membership et les moyens dont ils disposent. Malgré toutes les fermetures d'usines et les pertes d'emplois qui en ont résulté au fil des années, ils représentent encore aujourd'hui une force majeure, sans égal par rapport à ce qui existe ailleurs en Amérique du Nord (au niveau de notre taux de syndicalisation). À eux seuls, et de manière combinée, les syndicats québécois représentent en effet près d'un million de membres et représentent toujours plus de 40% de toute la main d'oeuvre au Québec.
Le PCQ veut faire sa part dans ce débat en présentant certaines pistes de solution au niveau de la recherche justement d'une nouvelle stratégie de relance pour notre économie. Ce sont des mesures applicables dès maintenant. L'idée d'une auto électrique "made in Quebec" pourrait faire partie d'une telle stratégie mais il devrait en même temps y avoir bien d'autres mesures. Certaines peuvent être plus faciles à mettre en oeuvre, d'autres moins. Comme nous disions plus haut, cette question est beaucoup lié à une question de volonté politique et il y a urgence. Nous ne pouvons nous permettre de reporter plus longtemps le débat à propos de ces enjeux.
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