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Le président du syndicat chez Aleris, Daniel Goyette, donne une entrevue à l'un de nos camarades
Par Claude V.
Cet article est basé sur une entrevue que m’a accordée Daniel Goyette, le président du Syndicat des travailleuses et des travailleurs de l’aluminium du Cap de la Madeleine (STTACAPMAD) CSN pendant le lock-out.
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«Il est très important de comprendre que l’enjeu majeur de cette lutte, la raison pour laquelle Aleris a mis notre organisation en lock-out, c’est le refus de nos membres d’aider Aleris à transférer à deux compagnies américaines, la Lewisport du Kentucky et la Newport de l’Ohio, des connaissances techniques acquises pendant plusieurs années. Ces deux compagnies appartiennent aussi à Aleris et se trouvent dans la «steel belt» une région dans laquelle se concentrent la métallurgie américaine», m’explique Daniel Goyette.
«La fabrication de nos échangeurs de chaleur pour les radiateurs d’automobiles représente des difficultés comparables à celles de l’aérospatiale. Les financiers américains nous demandent d’importantes concessions dont un prolongement de la convention collective pour leur permettre de rentabiliser. En retour, nous leur demandons une garantie qu’ils investiront pour assurer la rentabilité de l’entreprise et notre sécurité d’emploi, ce à quoi ils nous ont répondu : "vous signez ou on ferme !". Nous n’avons pas accepté ce chantage. Ils ont déclenché le lock-out le 1er juillet 2008».
Dans un article de Le Nouvelliste du 27 juillet 2008, la présidente de la CSN Claudette Carbonneau s’insurge contre l’attitude d’Aleris «C’est pas parce que c’est une compagnie américaine qu’elle n’est pas tenue de respecter la loi. Ça pas de bon sens que les travailleurs soient comme un kleenex que l’on jette à la première corbeille venue»,.
C’est que les 410 travailleurs et 40 travailleuses d’Aleris ne peuvent bénéficier des programmes de reclassement du Ministère du Travail parce qu’ils ne sont pas «officiellement licenciés». Les dirigeants d’Aleris face à l’esprit combatif des travailleurs ont décidé de mettre fin aux opérations. Mais ils n’ont envoyé aucun avis légal, ils n’ont jamais respecté les lois québécoises sur les fermetures et licenciements. Sous la pression syndicale le ministre du Travail, David Whissell, prend position : «J’ai communiqué avec le président de la Commission des normes du travail, Michel Després, et je lui ai demandé de voir à ce que la loi s’applique et que les avis de licenciement soient obtenus», a-t-il tranché.
Quelques jours plus tard, David Whissel baisse les bras. «Je n’ai pas les moyens de forcer l’entreprise à signer quoi que ce soit». C’est le ministre du Travail qui parle ! Celui-là même qui a tous les moyens, en d’autres occasions, de faire appliquer une injonction contre des travailleurs, d’ordonner des retours au travail, de sanctionner les «récalcitrants» et de forcer la main des syndicats, mais il n’a «pas les moyens de forcer» une entreprise, avoue-t-il, à respecter les lois permettant aux travailleurs d’accéder à des programmes visant à les faire embaucher dans les plus brefs délais suite à la fermeture d’une entreprise !
Les travailleurs d’Aleris et bon nombre d’observateurs sont convaincus que ce sont des mesures de représailles que prend la compagnie américaine parce que les travailleurs et les travailleuses se sont tenus debout face à ses menaces. Le 25 juillet, soit deux jours avant la déclaration de David Whissell, Aleris faisait venir un camion de la compagnie française Air liquide chargé d’azote. Le chauffeur a refusé de percer la ligne de piquetage. Un cadre d’Air liquide qui suivait a pris le volant. Les travailleurs ont bloqué l’entrée au camion, ont déconnecté les câbles hydrauliques et placardé des autocollants de leur lutte sur chaque pouce carré du pare-brise et des vitres latérales avant de laisser passer le camion. Daniel Goyette explique : «Ça c’était un show de provocation d’Aleris parce que l’azote, on peut la fabriquer dans l’usine, on a tout ce qu’il faut pour ça. Nous, il fallait qu’on exprime notre point de vue...on l’a fait».
Selon les informations que je détiens, c’est la Texas Pacific Group (TPG) qui est derrière les actions d’Aleris. Après que la SGF eût vendu tous ses actifs de Corus à Aleris il y a quelques années, celle-ci devenait la principale compagnie de transformation de l’aluminium au Québec. Une américaine ! Puis elle fut reprise par la TPG. La TPG fait partie de la Haute finance internationale et a des ramifications partout où elle peut tirer profit de transactions financières sans égards à l’environnement, aux impacts sociaux ou, comme dans le cas présent, aux emplois d’un demi millier d’ouvriers et d’ouvrières ayant développé une expertise rare dans le domaine de la transformation de l’aluminium. Daniel Goyette explique : «À un certain moment de la transformation, il n’y a plus de calculs possibles à faire pour arriver à un produit fini de très haute gamme, c’est le savoir, l’expertise, l’attention de l’ouvrier qui va faire la différence entre un produit qu’on peut se procurer partout et un produit de haute gamme, et c’est cette expertise qu’ils veulent déménager aux États-Unis à nos frais, sans compensation !».
La TPG est un holding financier qui achète des compagnies qu’elle va réorienter sur le marché mondial par l’injection massive de capitaux neufs et l’apport de gens d’affaires qui désirent profiter de ces capitaux. Mais les intérêts qu’impose la TPG sont très élevés. Si les gens d’affaires n’y arrivent pas, la firme financière reprend la compagnie, et les gens d’affaires subissent une perte. Or, ces gens d’affaires américains veulent transférer aux États-Unis les actifs d’Aleris, expertise compris afin de réduire les coûts de transport et bénéficier de lois qui leur sont plus favorables. En effet, aux États-Unis, une compagnie peut fermer ses portes et licencier ses ouvriers sans plus d’explication. Elle peut rouvrir quelques semaines après et réengager qui elle veut sans être inquiétée. Ce n’est pas le cas au Québec où les travailleurs ont des droits enchâssés dans des Normes et exécutés par un Code. Or ce Code est bafoué par Aleris et le gouvernement s’avoue impuissant à y faire quoi que ce soit.
Du côté de la Ville de Trois-Rivières, le Maire Yves Lévesque a déclaré que pour lui, Aleris est fermée et qu’il s’attend à obtenir un million de dollars pour «sa» Ville. «Je m’attendais à un Maire combatif dans ce dossier, me dit Daniel Goyette, et j’ai un Maire qui ne peut pas baisser les bras parce qu’il ne les a jamais levé, s’insurge-t-il, tout ce qu’il veut c’est son million».
Au moment d’écrire ses lignes, j’apprends que le gouvernement, incapable de faire respecter ses lois par une compagnie étrangère, fini par déclarer l’entreprise tout bonnement fermée et que les travailleurs auront droit aux programmes de reclassement. Et ni Aleris, ni la TPG n’aura été forcé de respecter les lois québécoises en matière de droits du travail. C’est un moyen signal que reçoivent les compagnies qui voudront se débarrasser d’une force ouvrière devenue gênante pour leurs intérêts après l’avoir exploiter pendant des décennies et en tirer de gros profits.
Les travailleurs du Québec doivent tirer une leçon de cette bataille pour le respect des droits des travailleurs et travailleuses au Québec. Tant et aussi longtemps que les gouvernements seront ceux des patrons, tant et aussi longtemps que les travailleurs ne se seront pas organiser politiquement pour prendre le pouvoir, il n’y aura personne au gouvernement qui aura «les moyens de forcer une entreprise à signer quoi que ce soit».
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