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Par le docteur Joseph Gerson
Note de la rédaction : Le Docteur Joseph Gerson est le directeur du programme du Comité au service des amis étasuniens en Nouvelle-Angleterre et auteur d'un prochain livre intitulé «Empire et Bombe : comment les États-Unis utilisent l’arme nucléaire pour dominer le monde». Cet article fut d’abord publié par « Peacework », une publication du Comité au service des amis étasuniens, puis reproduit à nouveau, au cours du mois d’octobre 2006, dans les pages du People’s Weekly World, un journal communiste américain, avec la permission de l’auteur.
Cet article s’adressait d’abord aux gens vivant aux États-Unis mais possède en même temps énormément d’intérêt pour nous, ici même au Québec. La traduction vers le français fut effectuée par notre camarade Guy Roy, membre du Comité central du PCQ.
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Le secrétaire sortant des Nations Unies, Kofi Annan, nous appelait encore récemment à être sages et à nous abstenir de notre habitude de jouer les matamores comme superpuissance. À la suite de l’annonce des tests nucléaires de la Corée du Nord, Kofi Annan a été clair : les tests nucléaires de Pyongyang sont inacceptables. Mais plutôt de parler de sanctions militaires, il a appelé à des négociations entre Washington et Pyongyang.
Il y a à peine une décennie, il a fallu le courage de l’ancien président Carter et son intervention diplomatique courageuse pour sauver le peuple coréen ainsi que Bill Clinton d’une crise causée par l’arrogance de ce dernier; celui-ci pensait en effet avec arrogance s’en sortir sans difficulté en jouant ainsi au jeu du chantage nucléaire. Le président Bush a encore à apprendre de cette nouvelle crise, de la même manière qu’il a aussi beaucoup à apprendre du fiasco causé par son invasion de l’Iraq. Pourtant, il continue toujours à insister pour que cette crise se règle selon les termes qu’il a dictés. Il refuse des négociations bilatérales et réaffirme que « toutes les options (incluant une attaque nucléaire) demeure sur la table. »
Tout comme Kofi Annan, Jimmy Carter insiste pour sa part, et tout au contraire, « qu’il faut éviter de laisser une nation, pouvant avoir l’arme nucléaire, croire qu’elle est exclue de façon permanente de la communauté internationale et que son existence même est menacée. » Depuis les reportages sur ses essais nucléaires, Pyongyang a répété plus d’une fois ce qu’elle répète en fait depuis des années : elle est prête à accepter une péninsule coréenne dénucléarisée si les USA s’engagent pour leur part dans des négociations bilatérales.
Cette crise n’est pas une aberration. Elle est plutôt le produit de 60 ans d’arrogance nucléaire étasunienne et, tout autant, la conséquence des fantaisies impériales du couple Bush-Cheney et de leur « romance de cruauté. »
Il y a quelques années, parlant à Hiroshima, Joseph Rotblat, un scientifique important ayant participé au projet Manathan et récipiendaire du Prix Nobel de la Paix, nous rappelait que l’humanité fait face à un choix sérieux : « Nous pouvons éliminer complètement les arsenaux militaires nucléaires ou nous serons les témoins de leur prolifération globale avec toutes les conséquences génocidaires et potentiellement meurtrières que cela peut avoir. » Parce qu’aucune nation ne tolèrera longtemps une injuste répartition des forces (pouvant permettre, dans ce cas-ci, de se faire menacer d’annihilation complète), les gouvernements feront tout ce qui peut être fait pour corriger ce déséquilibre, incluant pour eux-mêmes la recherche d’armes nucléaire. Cette discrimination hiérarchique du terrorisme nucléaire est ainsi irrémédiablement instable et ne peut continuer. La recherche constante d’une supériorité nucléaire et les menaces nucléaires qui en découlent ne peuvent qu’engendrer la prolifération d’armes nucléaires.
Dès la tenue de la création des Nations Unies en 1945, et jusqu'à aujourd’hui, la vaste majorité des nations du monde a toujours recherché la sécurité en demandant qu’on abolisse les armes nucléaires. Le Traité de non-prolifération nucléaire qui fut finalement adopté, 25 ans plus tard, prévoyait qu’en échange d’un engagement de l part des nations non nucléaires de limiter leurs ambitions nucléaires, les puissances nucléaires fourniraient de leur côté les technologies pour une production nucléaire non militaire. L’article No VI de ce traité prévoyait en même temps, du côté des nations nucléaires, la tenue de négociations pour l’élimination complète de tous les arsenaux nucléaires.
Il y a six ans, sous la pression des nations du monde, et alors que se tenait une Conférence internationale pour faire à nouveau le point sur ce traité, tous les principaux pays possédant déjà l’arme nucléaire, y inclus les États-Unis, réitéraient à nouveau leur « irrévocable volonté » d’appliquer l’article VI et s’engageaient qui plus est à prendre 13 mesures concrètes pour y arriver. Mais encore aujourd’hui, ces mesures demeurent négligées. Finalement, l’année dernière, plus de 150 nations, incluant des alliés des États-Unis, votaient à nouveau, aux Nations Unies, une résolution appelant à la tenue de négociations en vue de l’adoption d’une convention internationale pour l’abolition de tout l’arsenal nucléaire. Mais cinq pays votaient contre : les USA, la Grande-Bretagne, la France, Israël et l’Inde.
Il y a aussi l’héritage laissé par toutes les menaces étasuniennes contre toutes sortes de nations. En plus de 30 occasions depuis l’explosion des premières bombes atomiques en 1945, les États-Unis, sous toutes sortes de présidence à la Maison Blanche, ont préparé en sous-main des attaques nucléaires de type préventives (politique de première frappe) contre certains pays ou menacé publiquement de le faire, à l’occasion de crises internationales, de confrontations ou de guerres. Les États-Unis sont le seuls pays à avoir fait cela jusqu’ici. Cela a conduit des nations (incluant la Corée du Nord et l’Iran) à rechercher pour eux même leur propre arsenal nucléaire. Il faut dire que depuis 1950, les USA ont menacé la Corée du Nord d’une attaque nucléaire au moins huit fois. Pas moins d’une douzaine de telles menaces ont aussi eu lieu durant les crises ou guerres au Moyen-Orient. Depuis la fin de la Guerre Froide, l’Iraq, l’Iran, la Corée du Nord et la Libye ont tous été menacés plus d’une fois d’attaques nucléaires étasuniennes. Et lors de la Revue des positions nucléaires de Bush-Cheney en 2002, sept nations ont été désignées comme premières cibles : Iraq, Iran, Corée du Nord, Russie, Chine, Libye et Syrie.
Le maintien de crises structurelles et historiques avec les deux Corées fait partie de la stratégie de l’administration. Dans l’une de ses toutes premières bévues en politique étrangère, deux mois après son serment d’office, le président Bush humiliait déjà le Premier ministre sud-coréen Kim Dae-jung en faisant dérailler complètement le processus de désarmement entrepris avec la Corée du Nord, lequel processus avait été initié par l’ancienne secrétaire d’État Madeleine Albright. En réponse à une telle attitude, la Corée du Nord avait alors reprit le développement de son programme nucléaire initial et l’alliance USA-Corée s’en était alors retrouvé ébranlée.
L’impact des crises qui éclatent ainsi entre les USA et la Corée sont bien plus larges que ce que peut croire en général la personne de la rue. De manière très immédiate, et bien avant que la Corée du Nord puisse mettre la touche finale à son arsenal nucléaire et son programme de missiles pouvant atteindre la côte Ouest américaine, ce qui pourrait prendre encore une dizaine d’années, et au-delà du danger causé par la possibilité pour la Corée du Nord d’exporter vers d’autres pays sa technologie nucléaire, on doit d’abord penser au fait que cette crise pourrait bien engendrer une course aux armements sans précédent et tout à fait catastrophique pour toute la région du Nord-Est de l’Asie.
Le nouveau Premier ministre japonais est un nationaliste qui est non seulement le petit-fils d’un criminel de guerre de classe A, ayant par la suite œuvré pour la CIA, mais c’est aussi quelqu’un qui plaide ouvertement pour que le Japon (qui possède plusieurs tonnes de plutonium et des missiles pouvant atteindre la lune) devienne à son tout un pays avec l’arme nucléaire et qu’il puisse lui aussi utiliser cet arsenal pour des attaques préventives (politique de première frappe). Étant donnée les profondes blessures laissées par la conquête et la colonisation d’une grande partie de la Chine et de la Corée (ndlr : dans les années 30), un tel programme d’armement nucléaire de la part du Japon aurait toutes les chances d’amener la Chine à mettre fin à sa politique du « minimum préventif » en matière d’armes nucléaires. Une dangereuse course aux armements du 21ème siècle, incluant les USA sera alors pleinement engagée.
Nous n’avons nul besoin de tout cela. Anticipant Kofi Annan et Jimmy Carter, juste avant que les tests par la Corée du Nord aient lieu, une délégation de personnes connues issue du Japon et prônant toutes l’abolition des armes nucléaires (incluant des survivants de la Bombe A) rappelèrent aux USA que le monde est presque complètement uni contre la Bombe A nord-coréenne. Ils soulignèrent en même temps leur consternation à la perspective qu’une superpuissance comme les USA, ayant déjà 15,000 armes thermonucléaires, puissent se sentir à ce point menacée par la Corée du Nord qu’elles refusent de patientes négociations bilatérales avec un pays désespéramment pauvre et isolé, préférant plutôt le menacer d’action militaire et de guerre.
Aussi terribles qu’ils pouvaient être, en tant que promoteurs de la poursuite de la guerre froide, Richard Nixon et Henry Kissinger, n’ont jamais hésité à négocier avec les dirigeants soviétiques et chinois. Pourquoi alors Bush-Cheney craignent-ils de répondre à l’offre de Pyongyang en faveur d’une péninsule coréenne dénucléarisée en échange de négociations bilatérales ? Pourquoi ne pas profiter de ces négociations pour inciter les six pays principalement concernés par la situation dans la péninsule coréenne à créer une Zone libre d’armement nucléaire en Asie du Nord-Est, comme cela est déjà le cas en Asie du Sud-Est, en Asie Centrale, dans le Pacifique Sud, en Afrique et en Amérique Latine ? Et pourquoi les États-Unis ne pourraient contribuer à la non-prolifération des armes nucléaires en honorant notre « engagement irrévocable » à respecter l’article No 6 du Traité de non-prolifération et en appliquant les 13 étapes conclues en 2000 à l’occasion de la conférence internationale pour faire le point sur ce traité de non-prolifération ?
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