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Une nouvelle révolution est en train de balayer l’île de Cuba. Une révolution qui progresse à grands pas en termes d’économies d’énergie et de développement durable. Le progrès est tel que de nombreux pays pourraient apprendre de cette expérience pour atteindre l’indépendance énergétique et lutter contre le changement climatique.
Il y a encore quelques années, la situation énergétique à Cuba était difficile. Le pays avait 11 centrales thermoélectriques, plutôt inefficaces, qui produisaient toute l’électricité de l’île. La plupart avaient plus de 25 ans d’age et ne fonctionnaient que 60% du temps. Les coupures de courant étaient fréquentes, particulièrement pendant les périodes de forte demande. Une bonne partie de l’énergie se perdait le long du réseau. Et pour compliquer le tout, la plupart des foyers cubains étaient équipés d’appareils gourmands en énergie, 75% de la population cuisinait au kérosène et le prix dérisoire de l’électricité pour les foyers domestiques n’encourageait pas à faire des économies. En 2004, la partie orientale de l’île a été frappée par deux ouragans successifs et les lignes électriques ont été sévèrement touchées. Un million de personnes ont été privées d’électricité pendant dix jours. Le tout dans un contexte de pénurie pétrolière et de changement climatique. Les Cubains ont compris que l’énergie devait devenir une priorité. C’est ainsi, en 2006, qu’a commencé ce que les Cubains appellent « La Révolucion Energética » .
La Révolution énergétique cubaine a permis à Cuba de devenir un véritable modèle dans le domaine du développement durable. Le rapport de 2006 de Living Planet mesure le développement durable selon le Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD) et l’Indice de Développement Humain (IDH) ainsi que l’empreinte écologique. Le IDH est calculé d’après l’espérance de vie, l’alphabétisme et l’éducation, et le Produit National Brut par habitant. Le PNUD considère qu’un IDH de plus de 0,8 indique un taux de développement humain élevé. Une empreinte écologique, qui mesure l’impact de l’activité humaine sur la biosphère, de moins de 1,8 par hectare indique un développement durable.
Le seul pays dans le monde à avoir atteint jusqu'ici ces deux chiffres est Cuba. « Cuba a atteint un bon niveau de développement durable selon (les critères des) Nations Unies, grâce à un fort taux d’alphabétisme et une espérance de vie très élevée » explique Jonathan Loh, un des auteurs du rapport. Il ajoute : « En même temps, l’empreinte écologique y est faible puisque le pays consomme peu d’énergie. »
Les
statistiques sont impressionnantes : depuis la Révolution énergétique,
lancée il y a seulement deux ans, la consommation de kérosène a baissé de
66%, celle du gaz de 60% et celle de l’essence de 20%. La consommation
d’énergie par habitant se situe désormais à un huitième de celle des
États-Unis, alors que la santé, l’éducation et l’espérance de vie sont parmi
les plus élevées au monde (voir tableau).
Tableau 1 - Développement durable - comparaison entre Cuba & les États-Unis |
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CUBA |
ÉTATS-UNIS |
Espérance de vie |
77,7 |
77,9 |
Taux d’alphabétisation |
99,8 |
99 |
Mortalité infantile (pour 1000) |
6 |
6 |
% enfants taux naissance faible |
5 |
8 |
% enfants à l’école primaire |
97 |
92 |
Budget consacré à l’éducation (% PNB) |
9,8 |
5,9 |
Consommation électricité par hab (kWh) |
1,380 |
14,240 |
Émissions de CO2 par hab. |
2,1 |
20,1 |
source : Indice de développement humain, rapport de l’ONU 2007/2008 |
Petits budgets, gros résultats
Comment un pays avec un PNB par habitant équivalent à un dixième de celui des États-Unis réussit-il un changement aussi radical en matière de consommation d’énergie sans sacrifier les indicateurs sociaux ?
Pour comprendre la Révolution énergétique de Cuba, il faut examiner son histoire. Avant la révolution de 1959, 56% du pays était raccordé au réseau électrique. Avec l’avènement du socialisme, l’électrification a été étendue aux coins les plus reculés du pays. En 1989, 95% du pays avait l’électricité – en majorité grâce au pétrole bon marché livré par les soviétiques en échange de sucre. La disparition de l’URSS en 1991 a provoqué un effondrement de l’économie cubaine. Avec l’obligation d’acheter du pétrole sur le marché mondial, l’électricité devenait cher. Les aliments, le gaz et le pétrole sont devenus des denrées rares tandis que les États-Unis resserraient l’étau du blocus économique. Les lois sur la Démocratie Cubaine de 1992 et la loi Helms-Burton de 1996 visent toutes les deux les investissements étrangers et cherchent à empêcher Cuba d’avoir accès aux capitaux étrangers et à limiter son accès aux ressources indispensables.
Les années qui ont suivi la chute de l’Union Soviétique et l’intensification du blocus US sont connues comme « la période spéciale » parce que les Cubains ont du se serrer la ceinture et apprendre à fabriquer les articles de première nécessité, à fois localement et de manière renouvelable.
En 1993, un Programme de Développement des Sources Nationales d’Énergie fut rédigé pour réduire les importations d’énergie et utiliser au mieux les sources d’énergie locales. Le document a proposé que la première source d’énergie devienne l’économie d’énergie.
Après l’adoption de ce programme, Cuba s’est lancé sur la voie des économies d’énergie et des énergies renouvelables. Toutes les écoles rurales, les cliniques, les centres sociaux du pays qui n’étaient pas branchés au réseau électrique ont été électrifiés par l’énergie solaire. Aujourd’hui, 2364 écoles rurales sur l’île sont équipées de panneaux solaires. Chaque élève cubain a donc accès à l’éclairage, aux ordinateurs, aux programmes d’éducation télévisés. Ceci vaudra à Cuba de remporter en 2001 le prix « Global 500 » discerné par les Nations Unies.
Mais malgré leurs efforts, dix ans après la mise en place du programme, Cuba connaissait toujours une crise énergétique. En 2006, le Révolution Énergétique a instauré les mesures les plus draconiennes jamais prises par un pays à ce jour.
Un plan en cinq points
La révolution énergétique cubaine comporte cinq points principaux :
Le rendement et l'économie ;
L'amélioration de la fiabilité du réseau électrique national ;
Le recours aux énergies renouvelables ;
L'augmentation de l’exploration et de la production du gaz et du pétrole nationaux ;
La coopération internationale.
Le premier point porte sur la recherche de moyens pour réduire la demande. Cuba a lancé un programme de remplacement des appareils ménagers pour des modèles moins gourmands. Comme l’a expliqué le Président Fidel Castro au mois de mai 2006, « Nous n’allons pas attendre que le pétrole nous tombe du ciel, parce que nous avons découvert, heureusement, quelque chose de plus important – les économies d’énergie, ce qui revient à découvrir un grand gisement de pétrole. »
Leur programme, qui permettait aux gens d’échanger gratuitement leurs ampoules à filaments pour des modèles fluorescents plus compacts et plus économiques, a été un succès total. En six mois, plus de neufs millions d’ampoules à filament, soit prés de 100% de toutes les ampoules du pays, ont été remplacées par des modèles compacts fluorescents – faisant de Cuba le premier pays au monde à avoir totalement éliminé l’éclairage par les ampoules à filament en tungstène. De plus, des millions d’appareils ménagers plus économiques ont été vendus aux Cubains, dont prés de 2 millions de réfrigérateurs, plus d’un million de ventilateurs, 182.000 climatiseurs, et 260.000 pompes à eau.
Dans le même temps, des appareils de cuisson plus économiques ont été introduits sur le marché. Prés de 3,5 millions de cuiseurs de riz et plus de 3 millions de cuiseurs à pression ont été vendus aux familles pour encourager les gens à abandonner leur poêles à kérosène.
Et un des moyens les plus efficaces pour inciter aux économies d’énergie a été la nouvelle tarification appliquée à la consommation d’électricité des ménages. Avant 2006, l’électricité à Cuba était fortement subventionnée et vendue à très bas prix. Le nouveau tarif autorise les gens à consommer moins de 100 kWh pour bénéficier du même tarif extrêmement bas de 0,09 pesos/kWh. Mais pour chaque 50 kWh supplémentaire, le prix augmente en flèche. Pour une consommation de 300 kWh, le prix devient 1,3 pesos/kWh. Converti en dollars, c’est encore peu, mais pour les gros consommateurs, cela représente quand même une multiplication par 4 de leur ancienne facture.
Cuba a aussi pris des mesures d’économie dans le secteur étatisé. Toutes les pompes à eau dans les grands immeubles et les aqueducs ont été changés pour des pompes plus économes. Les tubes à néon de 40 Watts présents dans de nombreuses administrations ont été remplacées par des ampoules de 32W et les anciens réfrigérateurs et climatiseurs ont été changés.
Le Pouvoir au Peuple
Une révolution n’est véritablement révolutionnaire qu’avec le soutien des masses. La révolution énergétique cubaine n’est pas une exception. Pour faire participer les gens aux efforts d’économies d’énergie, un programme d’éducation ambitieux fut mis en place. Le Programme d’économie d’énergie du Ministère de l’éducation est un programme national mis en place en 1997. Son but est de familiariser les élèves, travailleurs, familles et communautés aux mesures d’économies d’énergie et aux énergies renouvelables.
Dans les écoles, le sujet de l’énergie est présent dans différentes disciplines. Les étudiants abordent les problèmes de l’énergie non seulement pendant les cours de Physique, mais aussi pendant les cours d’économie, d’écologie et de santé.
Le PAEME a organisé aussi des festivals de l’énergie ces trois dernières années pour sensibiliser des milliers de Cubains aux problèmes de rendement et d’économies. Les festivals s’adressent aux étudiants et on y trouve de nombreux jeunes qui expriment leurs idées à travers la musique, la poésie et le théâtre. Cela commence dans chaque école où les enfants qui présentent les meilleurs projets d’économies sont envoyés au festival de niveau municipal. Là, les meilleurs montent au niveau provincial et de là au niveau national.
Afin de faire passer le message auprès de la population, on a fait appel aux médias. Par exemple, à Cuba, au bord des routes, vous ne verrez jamais de publicité pour un produit commercial. A la place vous trouverez des dizaines de panneaux à travers le pays pour promouvoir les économies d’énergie. Il existe aussi une émission télévisée hebdomadaire dédiée aux questions de l’énergie. Chaque semaine des articles sont publiés dans les journaux nationaux pour encourager les économies et vanter les énergies renouvelables. En 2007, il y a eu plus de 8000 articles et spots télévisés sur la question de l’énergie.
Une distribution équitable
Malgré ces efforts, les économies se sont révélées insuffisantes, et en 2005 les coupures de courant étaient encore fréquentes. De plus, le réseau de distribution était très ancien et très inefficace. Le gouvernement cubain a compris qu’un des meilleurs moyens pour garantir une meilleure distribution de l’énergie était de décentraliser les centres de production. Cette organisation est moins vulnérable devant les catastrophes naturelles ou les incursions militaires qui pourraient toucher des zones entières de l’île. Elle permet aussi une diversification des sources d’énergie. Ce qui en retour facilite une éventuelle transition vers d’autres sources, produites localement et de manière durable.
En 2006, Cuba a installé à travers le pays 1854 micro-centrales électriques à diesel, qui représentent plus de 3000 MW d’énergie décentralisée dans 110 municipalités. Cette mesure a virtuellement éliminé les coupures de courant qui pourrissaient la vie quotidienne des Cubains jusqu’en 2004. En fait, dans les années 2004 et 2005, il a eu plus de 400 jours de coupures supérieures à 100 MW qui ont duré au moins une heure. En 2006, il y en a eu 3, en 2007 aucune. Ce taux est meilleur que celui de la plupart des pays industrialisés.
En plus de ces centrales, 4000 unités de secours ont été installées dans les zones stratégiques telles que les hôpitaux, les zones de cultures, les écoles et autres sites clés pour l’économie cubaine. Ceci représente 500 MW de secours.
De plus, Cuba a entrepris la rénovation de son réseau de distribution. 120.000 postes ont été modernisés, plus d’un million de distributeurs, prés de 3000 km de câblages, et 500.000 compteurs électriques. Le résultat global a été qu’en 2005, le pays consommait 280 grammes de pétrole pour produire 1 kWh d’électricité. En 2007, le chiffre est tombé à 271 grammes. Cela peut paraître peu, mais représente des milliers de tonnes de pétrole. En 2006-2007, Cuba a économisé plus de 961.000 tonnes de pétrole grâce aux économies d’énergie.
Un recours croissant aux énergies renouvelables
Le recours aux énergies renouvelables est une priorité depuis le début des années 90 et l’effort a redoublé ces deux dernières années. Actuellement, 100 stations éoliennes sont en cours d’installation dans 11 provinces et deux nouvelles fermes éoliennes ont été construites, ce qui représente une production de 7,23 MW pour tout le pays. Par ailleurs, la première centrale électrique solaire reliée au réseau est en cours de construction.
De plus, 180 micro stations hydrauliques, qui produisent de l’énergie à partir des courants marins et des rivières, sont installées dans tout le pays, dont 31 sont connectés au réseau. Le nombre de stations solaires autonomes dans les zones rurales s’élève à plus de 8.000, et il existe un plan pour utiliser les panneaux solaires et autres technologies renouvelables pour fournir de l’électricité aux 100.000 foyers qui ne sont pas encore alimentés. Cette année, 300 stations de biogaz, qui recyclent les déchets animaliers pour fabriquer du combustible de cuisine, seront construites.
Le sucre, principale exportation agricole du pays, sert aussi à produire de l’électricité. Dans les centrales sucrières du pays, la bagasse, qui est le résidu obtenu après le traitement du sucre, est brûlée et transformée en énergie pour alimenter la centrale et le réseau. Ces centrales de biomasses sucrières ont une capacité de production de 478,5 MW.
Cuba accompli aussi des progrès dans le domaine des biocarburants tels que l’éthanol. Alors que ce dernier est généralement fabriqué à partir de plantes alimentaires, comme le maïs, la position officielle envers les biocarburants est que « Cuba ne défend pas l’idée de convertir de la nourriture en carburant, alors que plus de 800 millions de personnes souffrent de faim. » Néanmoins, il existe quelques projets pilotes dans ce domaine. Le meilleur exemple est la culture du Jatropha Carcus qui produit une huile non comestible, et n’entre donc pas en concurrence avec la production alimentaire.
En 2007, un Groupe National fut crée avec pour objectif de soutenir et de promouvoir le développement accéléré des énergies renouvelables et des économies d’énergie. Les 14 commissions du groupe, qui couvrent tous types d’énergies renouvelables, ont été chargées par le gouvernement d’étudier les moyens pour améliorer l’implantation des énergies renouvelables dans le pays.
L’île a exporté sa Révolution Energétique vers d’autres pays, dans le cadre des l’ALBA (Alternative Bolivarienne pour les Amériques), un alliance alternative à la ZLEA (Zone de Libre-échange des Amériques). L’ALBA se concentre sur la lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale. Par exemple, après que Cuba ait travaillé avec le Venezuela sur une campagne d’économies d’énergie, le Venezuela a annoncé une économie de 2000 MW. Des scientifiques et techniciens cubains ont aussi fourni et installé plus de 1 MW de panneaux solaires au Venezuela, en Bolivie, au Honduras, à l’Afrique du Sud, au Mali et au Lesotho.
« Il faut une révolution énergétique globale », dit Mario Alberto Arrastia Avila, un expert en énergie chez Cubaenergia, un centre d’information sur l’énergie à Cuba. « Mais pour y parvenir, il faut aussi une révolution des consciences. Cuba s’est engagé dans sa propre voie vers un nouveau paradigme, en mettant en oeuvre des concepts tels que la génération distribuée, le rendement, l’éducation, la solidarité énergétique, et la solarisation progressive du pays. »
Le reste du monde devrait suivre l’exemple de Cuba, car une véritable révolution énergétique nous permettrait d’affronter les graves problèmes écologiques qui nous menacent.
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