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Par
André Parizeau
Chef du
PCQ
Q.:
Est-il vrai que Fidel Castro s'est emparé du pouvoir par la violence ?
Les forces révolutionnaires cubaines avaient-elles vraiment l'appui de la population quand
elles ont pris le pouvoir
?
Oui Cela
est vrai. En
1959, après deux ans de lutte à la tête de l'armée révolutionnaire, les
forces révolutionnaires, avec à leur tête Fidel Castro, sont
parvenues à chasser le dictateur criminel Batista, protégé par Washington et
on pris le pouvoir à Cuba. Ce
fut une lutte armée parce que ce régime, particulièrement corrompu et
répressif, n’aurait jamais permis qu’une opposition puisse contester par une
autre voie son pouvoir. Les révolutionnaires cubains n’avaient pas d’autres
choix. N’aurait été de cette révolution armée, jamais les choses n’auraient
pu changer à Cuba. Cela s’est fait très vite, surtout parce que toute la
population, depuis des années, attendait cette libération et a donc donné
toute sa collaboration à Fidel et à son armée. Tout a été mis en oeuvre,
durant les quinze premières années de la révolution, pour que chacun ait
accès à la nourriture, aux terres, à l'enseignement, aux soins de santé et à
des logements décents. Le déclenchement d’élections n’était alors pas
considéré comme une priorité.
Mais
même les États-Unis reconnaissent aujourd’hui que Castro aurait été élu haut
la main à cette époque, si des élections avaient alors eu lieu.
Q.:
Castro n'a donc jamais été élu depuis qu’il dirige Cuba ?
Non cela
n’est pas vrai. Par la suite, après la victoire de la révolution, plusieurs
élections ont de fait eu lieu à Cuba et, à chaque fois, ces élections ont
largement démontré le très large appui de la population cubaine vis-à-vis de
Fidel Castro et du Parti communiste cubain. Et cet appui ne semble pas
s’affaiblir, même après plus de 40 ans de pouvoir. Les gigantesques
manifestations d’appuis organisées régulièrement, à La Havane, à chaque
année, sont là pour le démontrer.
Les
médias bourgeois auront beau répéter sans cesse que le gouvernement cubain
est une dictature qui s’exerce contre le peuple cubain mais aucun de ces
médias ne peut expliquer comment un peuple peut continuer depuis si
longtemps à appuyer son gouvernement dans la rue et réélire, fois après
fois, ses dirigeants, s’il s’agissait vraiment d’un régime agissant contre
les intérêts de ceux et de celles qu’il veut servir. Cela ne fait pas de
sens. Quand on pense de surcroît à toutes les pressions politiques et
économiques exercées depuis toutes ces années par les États-Unis contre
Cuba, lesquelles pressions visent rien de moins que de générer un maximum de
tensions dans le pays dans l’espoir que le régime tombe par la suite, il
faut vraiment être malhonnête ou, au strict minimum, n’avoir que bien peu
d’esprit critique ou ne pas vraiment connaître les faits pour croire à une
telle propagande.
Certes,
la vie politique à Cuba ne suit pas les mêmes règles qu’ici. Cela découle
en autres d’une situation qui, à peu près tout le monde en conviendra, est
fort différente de la notre. Ne serait-ce qu’à cause du blocus américain,
imposé depuis plus de quarante ans. Une fois cela dit, notre propre système
électoral, qui continue encore à exclure toute forme de représentation
proportionnelle, qui favorise outrageusement les grands partis politiques au
détriment des plus petits et qui s’appuie très largement sur ceux et celles
qui ont de l’argent, est loin d’être aussi démocratique que certains
voudraient le laisser entendre. Manifestation monstre à
La Havane, à Cuba; il n'est pas rare de voir plus d'un million de
personnes participer à ces manifestations.
Q.:
Le système politique au Canada est quand même plus démocratique qu’à Cuba,
ne croyez-vous pas ?
Cela
n’est pas si évident que cela. La liberté d’expression et le droit de grève
existent chez nous. Cela est vrai. Mais nous ne sommes en même temps pas
en état de quasi guerre comme c’est le cas pour Cuba. Et de toute façon,
cette liberté d’expression, si on veut s’attarder plus spécifiquement à
cette question, existe aussi à Cuba, même si elle est réglementée. Le fait
de critiquer le gouvernement à Cuba n’implique pas automatiquement que vous
soyez jeté en prison. Si cela était le cas, alors les représentants de
régimes bourgeois, visitant Cuba, ne pourraient pas rencontrer des opposants
comme cela se fait assez régulièrement. Cela ne serait pas possible parce
qu’il n’y aurait personne à rencontrer. Encore une fois, le ridicule et la
démagogie d’une certaine forme de propagande anti-cubaine ressort au grand
jour.
Cela est
d’autant plus ridicule que notre propre régime politique, ici, possède
lui-même bien des restrictions, comme nous le disions déjà plus haut. Et
elles ne sont pas des moindres. Ici même, ces droits demeurent très
largement réglementés et contrôlés au travers de toutes sortes de
restrictions et lois, votées le plus souvent en catimini, souvent au plus
grand dam de l’opinion publique, et sans aucune véritable consultation. Qui
plus est, ces droits peuvent rapidement être suspendus quand nos gouvernants
considèrent que cela est nécessaire. On a d’ailleurs qu’à se rappeler
l’utilisation par le gouvernement canadien (plus d’une fois) de la trop
fameuse loi sur les Mesures de guerre. La dernière fois, en liste, fut en
1970, lors des événements entourant la crise d’octobre. Mais cela n’était
pas la première fois que l’État canadien se servait de cette loi. Dès 1921,
elle était également utilisé pour interdire pendant plusieurs années le
parti communiste.
On dira
ce qu’on voudra, mais les nombreuses attaques contre notre propre parti, le
PCQ, tout au cours du XXe siècle, sont probablement une des meilleures
illustrations du caractère finalement très peu démocratique de notre propre
société. Au Québec, durant la majeure partie de notre histoire, de 1921
jusqu’au début des années soixante, le PCQ fut un parti pourchassé, réprimé
et illégal et ses dirigeants furent plus d’une fois emprisonnés.
À Cuba,
l'enseignement, la nourriture, le logement et les soins de santé sont des
priorités sociales du gouvernement et ces priorités sont en même temps
garanties par la Constitution du pays. On ne peut pas en dire autant
chez nous. Même le système électoral cubain contient à plus d’un égard des
éléments plus démocratiques que ce que nous connaissons actuellement chez
nous. Cela s’applique en particulier au choix des candidats et des
candidates lors des élections.
Q.:
Pourquoi aucun autre parti n'est-il autorisé à Cuba ?
Un pays
en guerre froide avec la première puissance mondiale, comme c’est le cas
avec Cuba, ne peut se permettre une politique multipartite, disent les
dirigeants cubains. La présence d’autres partis, disent-ils, servirait
inévitablement les intérêts des USA, avec des fonds de propagande illimités
et visant le retour de l'élite des exploiteurs d'avant 1959 ainsi que le
démantèlement de tout le bien-être social pour la majorité.
Ceci n'a
rien d'une fantaisie ou d'une excuse bon marché, l'exemple nicaraguayen le
prouve à suffisance. En 1989, le gouvernement de gauche des sandinistes
décrétait des élections «libres» sous la pression de la guerre menée et
payée par Washington contre le pays. Les différents partis d'opposition, aux
tendances très variées, furent obligés par les USA à n'en former plus qu'un
(l'UNO), s'ils voulaient bénéficier d'un soutien. Du coup, ce parti unique
de l'opposition allait disposer d'un budget de propagande dix fois plus
élevé que celui des sandinistes qui, par conséquent, allaient perdre les
élections de 1990. Les améliorations spectaculaires dans l'enseignement et
les soins de santé que le pays avait mises sur pied pendant dix ans, ont
disparu au bout de quelques années à peine.
Aujourd’hui, les sondages au Nicaragua laissent présager un retour en force
des sandinistes. N’empêche que les seize dernières années auront coûté très
chères au Nicaragua. Les Cubains, de leur côté, ne veulent pas vivre à leur
tour une telle situation.
Q.:
Cela veut-il dire que vous appuyez vous-même, ici, cette idée d’un seul
parti politique, advenant l’accession au pouvoir d’un gouvernement
socialiste au Québec ?
Non,
cela n’est pas le cas. Les décisions politiques prises à Cuba en ce qui a
trait aux élections, ainsi qu’à un certains nombre d’autres questions
politiques, s’expliquent. Cela ne veut pas dire pour autant que nous
considérions qu’il faille calquer la réalité cubaine à notre propre
réalité. La situation à Cuba est une chose. La réalité du Québec comporte,
de fait, certaines ressemblances avec celles d’autres pays comme Cuba mais a
aussi ses propres caractéristiques qui font que la construction du
socialisme au Québec devra suivre sa propre voie.
L’idée
voulant qu’on doive absolument suivre un modèle donné est un concept qui a
fait son temps. Trop d’erreurs ont été commises dans le passé à cause de
cela. Il faut savoir tirer profit des expériences des autres mais aussi
être capable d’adapter ses politiques et ses stratégies en fonction d’abord
et avant tout de sa propre réalité, chez soi.
Le PCQ
ne peut prédire avec certitude les contours exacts de ce que sera, de
manière exacte, la future société socialiste québécoise pour laquelle nous
nous battons. Mais notre programme politique actuel demeure malgré tout
clair sur un certain nombre de points et nous espérons bien pouvoir
continuer à peaufiner ce programme. Un processus de réécriture de ce
programme est d’ailleurs en cours.
Q. :
Alors quelles sont vos propres positions sur cette question ?
Nous
sommes très clairement en faveur du maintien d’un système multipartite
dans une future société socialiste au Québec. Nous sommes également en
faveur, non pas de l’introduction de mesures encore plus restrictives face
aux syndicats et à leur droit de grève mais, au contraire, à
l’élargissement et à la libéralisation de ces droits fondamentaux que sont
le droit d’association et le droit de grève. Les syndicats sont
un instrument très important de démocratisation dans toutes les sociétés
comme la notre, y compris lorsque nous serons sous le socialisme (ce sera
probablement encore plus important d’ailleurs) et c’est pourquoi, nous
sommes également en faveur du fait que les syndicats (de même que toutes les
autres organisations populaires) puissent non seulement demeurer autonomes
face au futur pouvoir politique mais que cette autonomie soit aussi garantie
dans une éventuelle nouvelle constitution du pays.
Cela
dit, cela ne nous empêche pas, bien au contraire, d’exprimer notre
solidarité avec le peuple cubain, avec le parti communiste cubain, ainsi
qu’avec le gouvernement cubain. Pour nous, cela va non seulement de soi
mais cela fait également partie de nos obligations en tant
qu’internationalistes.
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