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Par André Parizeau
Chef du PCQ
"La Bolivie a bien changé depuis 2005 avec l'élection d'un président indien et socialiste. Les espoirs des millions d'exclus sont grands, et le Movimiento al Socialismo (MAS) au pouvoir entend prendre les moyens nécessaires pour les satisfaire."
Ainsi commence un article que le journal Le Devoir publie, ce matin même, en première page, et qui illustre les multiples efforts actuellement déployés en Amérique Latine pour développer et repenser de nouvelles façons de développer le pouvoir populaire.
Une seule ombre au tableau. D'entrée de jeu, on semble vouloir mettre en opposition ce qui se développe présentement en Bolivie par rapport à ce qui se passerait en même temps au Venezuela. Comme s'il y avait de grandes différences alors que cela n'est pas vraiment le cas et que ces deux pays se rapprochent du reste de plus en plus l'un de l'autre, depuis l'arrivée au pouvoir du nouveau président bolivien, Evo Morales. La même chose vaut d'ailleurs pour ce qui est des relations entre la Bolivie et Cuba.
Le nouveau gouvernement d'Evo Morales s'appuierait sur "un très fort mouvement social" par opposition au "populisme à la Chavez", de dire le journal Le Devoir. Au moment même où le nouveau parti socialiste unifié du Venezuela d'Hugo Chavez peut d'ores et déjà compter sur deux millions de membres alors qu'il n'est même pas encore officiellement créé -- ce qui en fait déjà le plus important parti politique dans toute l'Amérique Latine --, on ne peut que rester songeur sur le sens à apporter à un tel commentaire, glissé comme cela. D'autant que nul part ailleurs et plus loin dans l'article, on ne revient sur cette supposée contradiction. Sans doute faut-il mettre cela sur le compte de tous ces préjugés, encore bien tenaces, et portant contre le gouvernement d'Hugo Chavez, au Venezuela.
Une fois cela dit, le reste de l'article du Devoir est très intéressant, notamment quand il s'agit de tirer certaines leçons de l'expérience au Chili, du temps d'Allende, ou encore lorsqu'il est mention du fait, qu'en Bolivie, il y a présentement une attention particulière qui est apportée pour maintenir une distinction et une certaine distance entre les dirigeants politiques, ceux et celles qui dirigent le gouvernement, et les différents mouvements sociaux qui, d'une manière ou d'une autre, soutiennent ce gouvernement mais veulent en même temps conserver leur autonomie. L'article s'appuie sur une rencontre avec l'actuel vice-président de la Bolivie, Alvaro Garcia Linera, récemment en visite ici, à Montréal.
Plusieurs des questions soulevées dans cette article recoupent nos propres préoccupations quand il s'agit de repenser notre propre combat pour le socialisme. Voici donc de larges extraits de cet article :
«L'arrivée au pouvoir d'un Indien constitue la révolution la plus importante qu'a connue la Bolivie», constate M. Linera. «Historiquement, la participation des Indiens à la vie de cette société a toujours été très restreinte. Jusqu'à maintenant, ils ont été maintenus dans un état de subordination.»
... À ses yeux toutefois, la question autochtone ne relègue pas au second rang les questions sociales et, dans une société où l'exclusion et le racisme ont toujours régné et où le patrimoine public a été bradé au fil des ans, c'est à une transformation en profondeur des institutions et de leur culture que les Boliviens s'attendent. Et le chemin parcouru pour parvenir à la situation actuelle a été long.
Pendant une quinzaine d'années, à la suite du consensus de Washington qui «recommandait» en 1989 une liste de prescriptions aux économies en difficulté, la Bolivie a été le laboratoire par excellence pour tester les remèdes proposés par les bailleurs de fonds, le Fonds monétaire international, la Banque mondiale et le Trésor américain. «Avec son instabilité politique et sa pauvreté endémique, la Bolivie était le modèle parfait» sur lequel expérimenter, a expliqué M. Linera. Les résultats néfastes de ces mesures dans les pays où elles ont été appliquées sont aujourd'hui presque universellement reconnus.
«Pendant les années 70, l'État contrôlait 75 % de l'économie, a noté M. Linera. En dix ans, la proportion public-privé a été inversée!» Concurremment, une guerre à peine larvée sévissait entre les mouvements sociaux, la gauche -- coupée de la population -- et les militaires. La droite a alors pu définir les projets de société dans les domaines politique, économique et culturel.
On a par la suite assisté à un démembrement de l'appareil étatique par une série de privatisations, à une déstructuration des organisations sociales et à une attaque frontale contre le mouvement ouvrier.
À cause du «monopole» qu'exerçaient en vase clos l'État et le gouvernement sur toutes les décisions, c'est sur la scène locale que les mouvements sociaux se sont lentement réorganisés. Une foule d'organismes s'occupant de questions précises sont ainsi apparus. Ils se sont fédérés pour devenir des regroupements régionaux d'organismes autonomes qui s'appuient l'un l'autre selon le contexte social. M. Linera donne en exemple les mécanismes ainsi créés par la population aymara, dans l'Altiplano, dont les organismes ont à l'occasion appuyé ceux du Chapare.
C'est à partir de ces organismes et de leurs revendication qu'est né le MAS d'Evo Morales. «Le MAS n'est qu'un bras du grand mouvement social bolivien. Il s'agit d'une forme de centralisation verticale, en réseau», a expliqué le conférencier, pour qui il est primordial que les politiciens n'occupent aucun poste au sein de ces organisations afin que leurs revendications nourrissent l'action gouvernementale.
De sa création en 2000 aux élections cinq ans plus tard, le MAS a été de toutes les batailles, sur le plan tant local que national, à défendre les intérêts de la majorité contre une classe politique décrépite et fermée.
... «Une grande mobilisation sociale a permis la création de ce gouvernement», a expliqué M. Linera. Le monde indigène et les défavorisés doivent avoir accès au même niveau de vie que les autres, a-t-il précisé. «Et le processus en cours est irréversible», a-t-il ajouté, faisant remarquer que les plans généraux du gouvernement sont issus de la population.
Mais les problèmes sont nombreux depuis les élections de 2005: la riche région de Santa Cruz menace de faire sécession si le gouvernement ne change pas sa politique économique; Sucre, la capitale officielle, veut supplanter La Paz; la classe moyenne demande des augmentations de salaire...
«Nous devons à la fois administrer l'État au quotidien et mettre en place des politiques demandées par le mouvement social. Nous devons vivre avec cette contradiction, c'est le seul moyen que j'ai trouvé», a avoué M. Linera. Mais une chose est claire: pas question de dévier des objectifs du MAS.
Ainsi, par exemple, M. Linera, constatant la très forte réaction des partis traditionnels, des milieux d'affaires et de la droite, a expliqué qu'il y a deux possibilités d'action pour le gouvernement. «Nous pourrions pactiser, négocier, mettre sur pied des scénarios convenant à tous. Nous pouvons également poursuivre notre route vers les objectifs que nous nous sommes fixés, sans en dévier.»
«L'expérience de Salvador Allende au Chili au début des années 70 nous a enseigné qu'il est dangereux de pactiser avec les forces conservatrices», a-t-il conclu.
Le travail à accomplir est énorme. On vise à briser le monopole décisionnel de l'État. Il s'agit là d'un énorme changement de culture institutionnelle. Concurremment, «nous devons couper la base matérielle des secteurs conservateurs», a expliqué M. Linera, donnant en exemple la grande propriété, «qui doit revenir entre les mains du gouvernement».
À son avis, c'est là «l'unique scénario qui fera en sorte que la population conservera l'initiative du projet de société. Et, inévitablement, la mobilisation sociale grandira».
M. Linera a conclu par un souhait: «Nous
espérons que les organisations sociales nous pousseront encore davantage.»
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reliés :
Pour consulter au complet l'article publié dans le journal Le Devoir et portant sur le sujet
Pour consulter nos dossiers portant sur les différentes percées qui se produisent en Amérique Latine, en particulier Cuba et au Venezuela , et qui permettent justement d'entrevoir de nouvelles perspectives d'espoir au niveau du combat à mener pour la justice sociale.