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Par Étienne Hallé

19 novembre 2006

Aussitôt qu’une situation peut attiser les réactions « primaires » du bon peuple, telles que l’anti-étatisme, l’anti-intellectualisme, ou encore la xénophobie, Mario Dumont est là pour les récupérer.  Avez-vous remarqué l’absence permanente de débat de fonds lors de ses interventions ?  Le flou qu’il laisse est volontaire : il se complaît dans la démagogie la plus primitive, celle de tous les mouvements réactionnaires, des Conservateurs de Harper au Front National de Le Pen, en passant par les très sympathiques républicains de George W. Bush.  Sa dernière sortie sur les « accommodements abusifs » aux minorités n’en est qu’un autre exemple.  Remarquez également sur quoi il base la valeur d’un individu et de ses droits.  De plus, ses idéaux politiques, qu’il présente comme étant dans la ligne de la modernité, sont ils si modernes ?  Permettons-nous d’en douter...

Accommodement abusif pour les payeurs ?

En premier lieu, observons une partie de son intervention en rapport avec les événements du CLSC du Parc extension à Montréal où des conjoints n’ont pas pu durant un certain temps participer à des cours prénataux vu la présence de femmes musulmanes, indoues ou sikhs. Elle se lit comme suit : « Le contribuable québécois qui paie ses taxes, ses impôts (et que) sa blonde est enceinte (...) n'a plus accès à son CLSC parce que cela brime la culture des autres. Ce n'est d'aucune façon raisonnable. »  Mario ne parle pas de citoyens, ou d’individus, ou encore de québécois ou québécoises.  Il parle plutôt d’un type de personne pour lui supérieure au simple citoyen ayant le droit de vote : il parle du  « contribuable québécois qui paie ses taxes et ses impôt ».  Pour lui l’importance réelle de l’individu se mesure par sa contribution financière.  Le citoyen sur l’assistance sociale qui aurait eu recours aux services du CLSC – services dont il aurait eu accès sans cotiser au « système » - aurait-il été lui aussi brimé ?  Probablement qu’il répondrait par l’affirmative, mais nous pouvons nous douter qu’intérieurement il en penserait probablement tout autre chose...  Et ces gens d’affaires, qui font rejaillir sur nous tant de richesse qui nous illumine de leur radieuse aura de bienveillance d'où émane un altruisme dans toute sa gratuité, qui ne paient pas ou peu d’impôts, seraient-ils plus pris en considération ?  Nous pourrions nous questionner longtemps sur ce qui se passe dans la petite tête de ce « gentleman farmer », fan inconditionné des affairistes.  Mais ce que je veux mettre en relief est simplement son habitude de parler des « contribuables québécois » et des « payeurs de taxes et d’impôts ».  Ces termes reviennent constamment.  À quand le droit de vote pour les contribuables seulement ?  Il y a sûrement déjà pensé à un moment donné.

Au service d’une idéologie traditionnelle

De plus lorsqu’il affirme que la majorité québécoise n’est plus certaine de pouvoir «utiliser le mot Noël dans une salle de classe», il fait état du caractère non confessionnal des écoles publiques.  Il aimerait probablement voir encore les crucifix sur les murs des salles de classe.

Et lorsqu’il affirme que «La police québécoise n'est pas allée kidnapper personne dans le monde pour les forcer à venir au Québec», il se détourne simplement du fait que bien des gens n’ont pas notre qualité de vie ailleurs dans le monde : qu’ils s’adaptent ou bien qu’ils s’en retournent chez eux !  Qui n’a jamais entendu ce genre de propos ?...  Mais le problème du droit individuel vs le droit collectif est complexe et mérite une attention particulière et donc une analyse plus complète que des réactions xénophobes primaires.  De plus, on ne peut pas parler des deux cotés de la bouche en même temps : regretter l’époque des écoles catholiques non mixtes et se dresser contre les manifestations culturelle étrangères d’une manière aussi primaire, pour ne pas dire primitive. Être en faveur des libertés individuelles lorsqu’elles sont en la faveur de son idéologie, mais être contre lorsqu’elles ne la servent pas.

La liberté, c’est l’esclavage ! (Big Brother, 1984)

Politiquement, Mario Dumont est un spécialiste des paradoxes.  Il est empreint d’un esprit nationaliste étroit, mais est fédéraliste.  Il se dit pour le progrès, mais invite à voter conservateur aux élections fédérales.  De plus il a le don, comme l’avait avant lui son copain Benito, d’avancer des idées entièrement dénuées de sens et totalement contradictoires.  Il affirme que son projet va en continuité avec la révolution tranquille.  Que cette « révolution » passerait aujourd’hui par une déréglementation de plusieurs secteurs, par une diminution de la taille et des tâches de l’État avant que celle-ci n’écrase la classe moyenne (que ce même État a contribué à créer, soit dit en passant...).  « Nous, aujourd'hui, on parle de plus de liberté de choix. On croit que le gouvernement a besoin de moins réglementer et moins contrôler un paquet de secteurs. Pour moi, c'est en droite ligne avec la Révolution tranquille », affirme-t-il.  La liberté de choix : les canadiens français de l’époque de Duplessis l’avaient.  Les taxes et les impôts étaient bas, le filet social se résumait aux œuvres de charité, les travailleurs et les syndicats avaient peu de droits, les patrons avaient beaucoup de latitude.  La majorité québécoise avait le choix entre travailler dur pour faire vivre leur famille nombreuse ou bien crever de faim.  Ah, vivement un retours dans le « bon vieux temps » : c’est ça le progrès !

La révolution tranquille s’est produite parce que la société québécoise de l’époque avait un très grand retard sur l’ensemble de l’Amérique du nord au niveau de ses structures internes.  Une grande bourgeoisie anglophone régnait sur la petite et moyenne bourgeoisie francophone, les ouvriers et les agriculteurs.  La volonté de la petite et moyenne bourgeoisie de se doter des moyens d’émerger de leur statut a menée aux grandes réformes du gouvernement de Jean Lesage, telles que la création de la Caisse de dépôts et de placements et de la Société générale de financement.  La nationalisation de l’électricité, n’était issue que d’une autre nécessité : celle de fournir l’énergie nécessaire à la modernisation de la société à prix abordable.  Suite à cette lancée, l’Église a perdue davantage de son influence, les mouvements sociaux ont pris de l’ampleur, bref le Québec arrivait à l’heure de l’ensemble de l’Amérique et du Monde, alors dans un climat d’effervescence sociale.  La révolution tranquille n’a été en fait qu’une période de rattrapage, la suite s’inscrit quant à elle dans une volonté collective de créer une société plus juste.  C’est également cette période et celle qui l’a suivie qui a mené à la création de la classe moyenne.

Voyons maintenant les contradictions du discours de notre « p’tit gars de Cacouna ».  Une des caractéristiques de la « révolution tranquille » est l’augmentation de la taille de l’État.  Mario veut la diminuer.  C’est dans la suite de cette période qu’à été mise sur pieds l’impôt progressif, lui il veut rendre cela à taux unique, ou au minimum le rendre moins progressif.  C’est également suite à ces événements que les travailleurs et les syndicats ont gagnés des droits, lui veut les diminuer.  Mais peu importe ces contradictions, le terme « révolution tranquille », tout le monde le connaît.  Il s’inscrit pour les québécois comme l’événement qui a marqué le progrès ; l’arrivée dans la modernité.  Cette période fait partie de l’histoire des Québécoises et Québécois et de leurs racines collectives. Que peu de gens connaissent bien la « révolution tranquille » sert très bien l’ADQ.  L’appropriation du terme leur suffit : c’est bon, c’est « vendeur ».  Autre paradoxe : c’est par l’exploitation des sentiments d’anti-étatisme et d’anti-intellectualisme qui caractérisaient la réaction au sein de la société au moment de la révolution tranquille, que Mario veut soit disant la poursuivre. Plus contradictoire que ça...  Il nous dit aussi que c’est l’État  qui va « écraser » la classe moyenne.  Pourtant, diminuer sa taille favoriserait l’émergence de deux classes distincts: les « riches affairistes » et les pauvres travailleurs obligés de bosser plus d’heures pour joindre les deux bouts.  Ce serait certainement bon pour la « productivité » des apôtres de l’Institut économique de Montréal.  Dans les faits, les arguments et les propositions qu’il nous amène sont plutôt « tranquillement contre-révolutionnaires » que dans la suite de la « révolution tranquille ».  Il ne serait pas surprenant de l’entendre un jour dire comme Mussolini : « nous sommes réactionnaires et révolutionnaires ! », dans une même phrase en plus d’un paquet d’autres absurdités comme il nous en a habitué...

Une petite chemise noire, mon Mario ?

Mario n’est pas souverainiste, mais plutôt nationaliste, au sens le plus étroit du terme.  Cette distinction explique pourquoi il a appuyé le oui au référendum de 1995.  Mario a des valeurs très traditionnelles : le travail et la famille.  Jamais il ne parle de justice sociale, il l’aborde plutôt au sens réactionnaire (répression plutôt que réinsertion).  Son discours sur le droit des familles de décider où ils doivent envoyer garder ou étudier leurs enfants est dans la ligne de la démagogie au sens le plus simple du terme.  Donner de l’argent à la mère pour prendre soin de ses enfants à la maison s’insère tout simplement dans la continuité de ses valeurs personnelles.  Quelqu’un pourrait-il me dire pourquoi la « famille » prendrait toujours les meilleures décisions pour elle ?  Et les choix individuels ont-ils toujours des effets positifs sur la collectivité ?  Poser la question c’est y répondre.  Il est flatteur de se faire dire que nos choix sont toujours les bons ; ça attire de l’électorat.  C’est ça la démagogie !

Pour lui, la souveraineté risquerait de garder le Québec au centre ou même de l’emmener trop à gauche sur l’échiquier politique. Avec un gouvernement Conservateur ou Libéral au fédéral, et son parti au provincial, tout serait en place pour donner une plus grande « liberté » et donc plus de flexibilité au monde des affaires et permettre ainsi à Mario de voir naître la société dont il rêve depuis son tout jeune âge.  Comme Duplessis, il est autonomiste.  Un Québec autonome, avec un minimum de lois du travail, un filet social minimum, un État minimum, une fonction publique minimum, mais avec un maximum de temps passé à travailler, un maximum de « liberté » pour les employeurs faisant un maximum de revenus imposés au minimum.  Une belle société pleine de paradoxes, avec deux classes sociales aux intérêts alors visiblement opposées avec les conséquences qui vont avec.

Nous pourrions parler longtemps de Mario Dumont et de son ADQ qui répond au besoin d’une infime parti de la société et qui aime bien les solutions simplistes et radicales.  Cet électorat, caractérisé par des valeurs hyper traditionnelles et par un manque flagrant de connaissance des enjeux sociaux est malheureusement présent partout ; chaque pays a les siens.  Heureusement qu’ici au Québec, il y en a moins qu’au Texas.   En résumé, l’ADQ est un parti dirigé par des affairistes, composé d’affairistes qui aimeraient se faire rapidement une place au soleil, mais également de salariés frustrés de leur situation qui ne croient pas qu’il existe une autre façon de faire de la politique et qu’un autre monde est possible.  La chaise berçante sur laquelle l’ADQ se balance d’en avant en arrière est faite d’ignorance, son dossier est composé d’individualisme sous un verni mesquin et ses appuis-bras sont fait 100% de démagogie naturelle.  Aux prochaines élections, cette chaise pourrait très bien se renverser en nous donnant le plaisir de voir le roi déchu du conseil du patronat Gilles Taillon encore une fois sur le derrière...

 

 


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